- Jus drein, jus daun.Cette phrase tourne en boucle dans mon esprit comme un mantra, cette phrase prononcée par Gaïa lorsque nous avions dû fuir la capitale de l'usurpateur, abandonnant Chléo et Anya, ainsi que tous les hommes et femmes de nos escouades. Nous avions réussi à rallier Polis, malgré la traque implacable des guerriers de l'usurpateur. J'avais poussé mes compagnes d'infortune jusqu'à leur dernière limite, m'aidant de Gaïa qui avait fait preuve d'une résilience remarquable, pour sauver la rescapée. C'est épuisées et à bout de force que nous étions tombées sur une patrouille trikru qui nous avaient escortées jusqu'à Polis.
L'événement avait fait grand bruit, la trahison de Sheitan était ignoble, indigne de l'honneur des natifs, et il ne pouvait pas se cacher derrière de fausses excuses, car nous avions survécu, nous avions accompli notre devoir, même si nous avions dû abandonner nos sœurs d'armes en chemin. L'usurpateur avait défié la coalition en s'en prenant à Anya, sa représentante désignée par la commandante, ne laissant pas d'autres choix à Lexa que d'en appeler à l'union.
Je n’en pouvais plus d’attendre, dévorée par cette fureur en moi qui alimentait ma haine de Sheitan. J’avais juré de lui arracher le cœur, et mon esprit était focalisé sur ce seul but, venger les nôtres et le faire payer pour sa traitrise. Personne ne pouvait réellement comprendre ce qui m’animait en cet instant, personne à l’exception d’une jeune femme, la Fleimkeppa, Gaïa, la « petite » comme j’aimais à la surnommer lors de notre voyage aller jusqu’en Ouskejon. Quelle ironie que d’y repenser après ce que nous avions vécu ensemble.
Gaïa… Elle avait changé, son innocence et sa foi balayées par la haine, assombries par le remord. Elle n’avait pas le même vécu que moi, elle ne savait pas gérer cette fureur, cette bête ignoble qui menace à tout instant de vous dévorer si vous n’y prenez pas garde. J’avais appris dans l’arène à la dompter, pour me servir de sa force et vaincre mes ennemis. Mais j’avais aussi vu des hommes et des femmes se faire consumer par cette rage insatiable pour perdre leur humanité et s’abandonner entièrement à la bête. La raisonner m’apparaissait être un vœu pieux, et je n’étais pas la mieux placée pour cela. En revanche, je savais comme faire pour lui apprendre à ne pas sombrer, à suivre ma voie pour laisser l’esprit de vengeance se fondre en elle et puiser dans sa force pour devenir autre chose.
J’avais abandonné Anya, Chloé et tous les autres, alors je refusais de subir une autre perte, de laisser Gaïa seule pour affronter son moi intérieur. Cela est venu presque naturellement, un regard échangé, et nous savions toutes deux que nos destins étaient liés dans la haine de l’usurpateur et que nous ne trouverions le repos que quand il serait mort. Alors elle est devenue mon élève, et je me suis muée en une professeure dure et implacable, la poussant bien au-delà de ses derniers retranchements. De l’extérieur cela aurait pu ressembler à du sadisme pur, mais c’était tout le contraire. Je l’aimais de toute mon âme, et je voulais qu’elle devienne une guerrière implacable à même de survire au combat que nous allions devoir mener.
Elle m’a surpris, et m’a rendu fière, très fière. J’ai enseigné à une multitude d’hommes et de femmes à se battre pour leur survie. Certains pensent que la force brute est la chose la plus importante. Ils se trompent. La force d’âme et la volonté sont les seules choses qui vous permettent de vous transcender, de repousser les limites de ce qui vous semble possible, de devenir plus que ce que vous pensez être. Un combattant doit être capable de se muer en machine à tuer, de laisser de côté ce qui est bon en lui pour ne faire qu’un avec la rage et la fureur que nous avons tous quelque part tapies au fond de nous. Les émotions et les sentiments n’ont alors plus leur place, et j’ai lu dans son regard, alors que nous luttions pied à pied, qu’elle était faite de cet acier qui forge les plus grands.
Pourtant j’avais peur pour elle, peur qu’elle ne se perde, alors j’étais là pour l’aider, pour lui tendre la main lorsqu’elle menaçait de se faire engloutir par notre haine partagée, pour lui rappeler que nous pouvions encore aimer, rire et profiter de la vie malgré tout. Pour que cette fleur magnifique qui se forgeait à mes côtés une carapace d’acier survive à cette épreuve…
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- Jus drein, jus daun.Tout le monde se regroupe sur la place du marché dans l’attente de l’annonce qui ne devrait plus tarder. Je suis là, bien entendu, visage figé et regard d’acier. Je sais qu’elle est là elle aussi, à mes côtés, sans même avoir à poser mes yeux sur elle. Gaïa, avec qui j’ai passé presque chaque instant de nos jours et de nos nuits lors de la semaine passée. Elle s’est coupée les cheveux, comme pour montrer au monde que la « petite » fleimkeppa n’était plus. Pourtant, je sais qu’elle est toujours là, quelque part, et qu’il me faut la préserver de la haine et de la douleur qui nous a frappé toutes les deux.
Le reste du temps, j’ai cherché auprès de Prihaya des réponses dans les flammes, m’appuyant sur la Faya’Shila pour éprouver ma foi nouvelle dans les messages transmis par le feu.
La reine des Delfikru est venue, pour venger son arès qui est tombé au combat. J’espère qu’elle a survécu, que ce serpent de Sheitan a jugé plus sage de la garder en vie, même si elle a bien moins d’importance qu’Anya. Un soupir et les doigts de ma main valide qui viennent effleurer ceux de Gaïa. Il est temps pour nous d’aller nous présenter, de dire à la reine Kira qu’elle peut être fière de son Arès qui nous a permis de rentrer saine et sauve. Et pour nous excuser aussi de l’avoir abandonnée en arrière. Un premier pas vers la rédemption…
- Spoiler:
Fury se tient auprès de
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