Si Denalia est née fille de la terre, jamais encore ses pieds n’avaient foulé ce sol pourtant si connu par ces ancêtres. Jamais elle n’avait su que, ce jour l’ayant vu naître, avait été marquée par la tombée des premières neiges de cet hiver. De légers flocons, qui avaient pourtant étincelé dans la grisaille du soir. Des détails que l’enfant ne découvrirait jamais, alors qu’elle était née au sein d’un peuple si spécifique. C’est parmi les hommes de la montagne qu’elle vit le jour, alors même qu’elle appartenait à cette civilisation privée de cette liberté de ressentir de nouveau l’air pure dans ses poumons. Un manque presque impossible à ressentir, ne l’ayant jamais réellement connu. C’était comme demander à un aveugle de naissance si ne plus voir le bleu du ciel pouvait lui manquer. À un sourd, s’il espérait entendre de nouveau un son qu’il n’avait jamais pu percevoir. Pour la petite, cet air, pourtant si vital, ne lui manquait pas, bien qu’il lui arrivait parfois d’en rêver.

Ses parents étaient en partie responsables de cette rêverie qu’elle avait constamment eut. Sa mère, le plus terre-à-terre qu’il était possible d’être, était l’une de ces femmes appartenait à la force armée du Mont Weather. Ceux ayant cette possibilité de sortir, d’explorer ce monde leur étant interdit. Chaque fois qu’elle rentrait, Denalia aimait savoir ce qu’elle avait vu, qu’elle lui décrive le moindre détail de la nature et qu’elle lui raconte la plus croustillante des anecdotes. C’était sa façon à elle de quitter ces murs, de sortir explorer ce monde onirique.

Mais il y avait aussi son père, raison première de cette imagination débordante qu’elle nourrissait à l’encontre de ce monde. Un instituteur, partageant culture et connaissances aux enfants de la montagne. Un puis de connaissance admiré par la petite qui était constamment avide de nouvelles histoires. Une échappatoire pour oublier la froideur de ces murs, alors que c’était ce qui avait noué une certaine complicité entre eux. Car si la mère de l’enfant préférait épargner la petite de ce qui lui était inaccessible, son père s’amusait, embellissant parfois ce qu’il racontait, l’épouvantant à sa demande, et la faisant rire aux éclats quand elle le mettait au défi de le faire.  

Ces instants de rêveries étaient comme vitale pour la jeune Denalia. C’était son souffle d’air frais, alors que son quotidien était rythmé par son assiduité en classe, les instants privilégiés avec ses parents et ses visites médicales. Car l’enfant avait un suivi strict dans ce domaine. Non pas par crainte des fuites radioactives, dont on l’avait toujours mise en garde, mais à cause cette anomalie génétique présente dans son organisme. Une anomalie effrayante pour les méconnaisseurs, mais qui devint vite un sujet de plaisanterie pour celle qui n’en mesurait pas l’importance.  

Le situs inversus, une anomalie qui était sienne. Rien en apparence, alors que tout se passait dans le petit corps de Denalia. Une situation d’abord effrayante pour les médecins, avant qu’ils ne comprirent ce à quoi ils avaient affaire. Les organes de l’enfant étaient en miroir par rapport à la normal, inversant une disposition pourtant ancrée dans le temps. Mais si cela n’était en aucun cas problématique pour la croissance de la miss, elle se mit tout de même à souffrir de difficultés respiratoires. Conséquences de cette malformation, nécessitant une attention des plus grands. Pour Denalia, c’était surtout l’incapacité de faire la folle avec les autres enfants. Cette difficulté respiratoire prenait la forme d’asthme, forçant la petite à prendre sur elle. Ce n’était pas toujours simple, alors qu’elle se faisait des amis avec qui elle voulait jouer auprès des autres enfants, jouant sur la patience des parents qui avaient pleinement conscience des risques, et ‘Lia avait eu beaucoup de mal à l’accepter. Pourquoi n’avait-elle pas pu être comme les autres ?

Et pourtant, les années passant, elle allait en faire une spécificité lui étant propre. Une façon de sortir du lot bien qu’elle expliquait rarement dans le détail. Denalia était encore bien trop jeune pour en saisir toutes les subtilités et, une fois la frustration passée, c’était l’amusement d’être différente qui primait. Elle l’avait compris, jamais elle ne pourrait être garde comme sa maman et ainsi voir d’elle-même ce que le monde extérieur lui offrirait. Rien pouvant lui demander de grands efforts, du moins tant ses poumons ne souhaitaient pas coopérer. Ça, elle l’avait bien compris, après le nombre incalculable de fois où son père le lui avait dit.  

Malgré cette anomalie congénitale, la vie de Denalia n’en était pas chamboulée. Si sa mère était parfois un peu trop protectrice envers elle, consciente que le monde n’était pas aussi idéal que le peignait sa fille, son père lui offrait l’épanouissement dont elle avait besoin. Deux modes de vies conjoints pour offrir à Denalia cette possibilité d’être ce petit ange, faisant rire ses parents en cherchant constamment la faille dans leurs dires. Elle avait déjà proposé qu’ils lui prêtent une combinaison pour leur prouver que sortir était possible. Ou bien elle faisait preuve d’ingéniosité, s’activant dans des projets démesurés et irréalisable, mais réaliste dans son esprit. Il n’était pas rare qu’elle convoque des “réunions au sommet” pour présenter ces fameux projets à ses parents ou bien ses amis. Car Denalia était loin d’être une enfant isolée, bien au contraire. Transpirant la joie de vivre, elle s’évertuait à être ce petit rayon de soleil dans ce bunker où jamais cet astre ne percerait.  

Et pourtant, tout n’était pas toujours éclatant derrière ce sourire. Si la petite donnait l’impression que rien ne pouvait venir ombrager ses pensées, une peur avait éclot au sein de son esprit. Une peur nourrit par des haussements de voix provenant de son père, lorsqu’aucun des parents ne pensait être entendu par leur fille. Recroquevillée derrière une porte, Denalia entendait pourtant tout. Un conflit parental dont elle n’en comprenait les raisons, mais évoquant ce par quoi tous devaient passer. Ces transfusions régulières, intégrées dans la vie des Montagnards. Dena’ ne comprenait pas pourquoi son père s’évertuait à convaincre sa mère qu’il fallait trouver autre chose, qu’ils ne pouvaient pas continuer de vivre ainsi, au détriment de d’autres. Une opinion politique encontre trop complexe pour l’enfant qui finissait bien souvent par aller étouffer ses larmes de peines dans son oreiller. Pourquoi ses parents ne s’entendaient-ils pas sur ce sujet ? Qu’est-ce qu’on ne lui disait pas ?

Jamais ses parents n’avaient évoqué ce différents devant l’enfant. Denalia jouait les innocentes, offrant des sourires rassurant lorsqu’elle n’arrivait à camoufler cette tristesse de savoir que quelque chose les opposait. Elle était trop jeune pour qu’on lui explique que la Montagne survivait grâce à ce traitement qu’ils faisaient subir aux natifs de l’extérieur. Trop jeune, mais pas assez indifférente. Si les grands refusaient de lui expliquer, elle avait essayé de le découvrir d’elle-même. Écoutant plus souvent aux portes, elle essayait de mieux saisir ce qui posait problème à son père, mais aucunement à sa mère. Elle essayait d’être discrète, mais son manège, certaines de ses questions, n’échappèrent pas à son père qui découvrit ses manigances. Ce n'était pourtant pas une raison valable pour lui expliquer, justifiant qu’il n’y avait rien à comprendre et qu’elle ne devait pas se laisser envahir par les problèmes de grand. Elle était grande pourtant. C’était ce qu’elle adorait répliquer, mais sans jamais avoir gain de cause. Son seul résultat était cette lassitude apparente chez son père.

Denalia avait fini par calmer cette curiosité insatiable. Du moins en apparence. Alors qu’elle se trouvait aux portes de l’adolescence, elle avait compris qu’elle ne pouvait pas offrir une inquiétude de plus à ses parents. Si sa santé allait en s’améliorant, gardant uniquement un souffle parfois un peu court, elle savait qu’ils attendaient un risque de complication. Alors s’inquiéter des potentiels ennuis que la jeune pouvait s’attirer en fourrant son nez partout, Denalia avait compris que ça leur causerait bien plus de tort que de bien. Ainsi, elle avait appris à être plus discrète. Questionner les bonnes personnes, être au bon endroit au bon moment, sans pour autant chercher à y être. Si sa quête d’indice était dure et ne menait souvent à rien, elle savait que ça finirait par payer. Et puis, qu’avait-elle donc d’autres à faire ? Son assiduité à l’école lui permettait de faire les choix qu’elle souhaitait et son idée d’avenir était tout tracé. Elle voulait être utile à la montagne et mettre ses compétences de bricoleuse de l’extrême à contribution. Elle était peut-être encore jeune, mais l’avenir appartenait à ceux se levant tôt lui avait dit son père.