La blonde avait appris à apprécier ce territoire. Il avait permis aux Astraux de jouir d'un peu de paix, après plusieurs voyages sans destinations précises. Peut-être avait-elle apprécié le sentiment de bien être obtenu grâce à lui, au final ? À présent il n'en était plus rien. Une violente pluie s'abattait sur eux, et l'eau menaçait de les engloutir à tout moment. Astria avait vu disparaitre les endroits où ils avaient ri, travaillé, vécu tout simplement, en l'espace de quelques heures. À présent, elle essayait d'aider ceux qui transportaient des animaux - ou en utilisaient pour transporter leurs biens, à s'organiser. La plupart des bêtes étaient effrayées, ou transies par le froid, un peu à l'image de tout leur peuple en réalité. La lionne se focalisait sur son travail, pour ne pas penser au reste. Pour ne pas regarder derrière son épaule à chaque instant, dans l'espoir de voir les quelques disparus rejoindre le groupement. Les membres de sa famille de signe lui jetaient des regards lourds de sens. Oui, elle ferait bien mieux d'être auprès de sa famille de sang, en ce jour si sombre. Il était évident qu'ils avaient besoin de se soutenir, et ce plus que jamais. Mais comment pourrait-elle les regarder en face sans flancher, avec cette inquiétude qui lui rongeait les tripes depuis deux jours à présent ? Elle ne s'imaginait pas entamer un nouveau voyage sans son père à ses côtés. Et elle ne le ferait pas, impossible.

La raison la poussa finalement à rejoindre ses soeurs, mais l'atmosphère était aussi glaciale que la pluie. Personne n'osait parler, sûrement car il n'y avait rien à dire qui pourrait arranger la situation. Astria entendit finalement la voix de sa mère, qui s'élevait pour annoncer leur départ. Et là, seulement là, elle osa relever les yeux vers Magdalena. Partir ? Ça lui paraissait tellement inimaginable qu'elle resta clouée sur place quelques instants, au milieu de cette foule mouvante. La main de sa mère ne tarda pas à venir se presser dans son dos, afin de l'inciter à avancer. Mais, à défaut d'aller de l'avant, la blonde sortit de son mutisme. « Quoi ? Non... on ne peut pas partir sans papa. » Astria avait défié à de nombreuses reprises l'autorité de sa mère, durant l'adolescence. Mais il ne s'agissait pas de ça cette fois-ci. Couplé à la culpabilité, le désespoir parlait et l'empêchait d'accepter cette situation aussi facilement. « Peut-être qu'il se dirige vers nous en ce moment même ! » La blonde ne doutait pas que la décision avait été dure à prendre pour la meneuse. Elle savait à quel point ses parents s'aimaient. De part ses responsabilités, la plus âgée n'avait que peu d'options pour protéger les leurs. Mais Astria, elle... elle n'était pas indispensable. « S'il te plait, laisse moi rester ici pour l'attendre. Laisse ceux qui le souhaitent rester. » Leur famille n'était pas la seule touchée, la Leo avait bien vu les réactions de certaines personnes suite à l'annonce du départ. Tout cela était tellement injuste...  Sans le réaliser et malgré ses protestations, elle avait commencé à marcher, les yeux toujours rivés sur ceux plus fuyants de l'autre blonde.

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Parfois, Astria se demandait si les astres les observaient vraiment depuis là haut. S'ils possédaient vraiment le pouvoir et la sagesse de les protéger, les guider. Elle se disait que si son peuple avait foi depuis tant de générations, c'était pour une bonne raison. Mais, lors de moments durs comme celui-ci, elle ne pouvait s'empêcher de douter. Personne n'avait réellement prédit l'ampleur de cette tempête, pas plus que la Prophète n'avait lu dans les étoiles le risque que prendrait son père en allant à la rescousse des autres disparus. Alors à quoi bon ? A quoi tout cela servait-il ? Une pointe de rancoeur commença à naitre dans sa poitrine, mais elle fut balayée par le souffle de sa mère. Il lui rappela qu'elle n'était pas la seule à vivre ça. Il y avait toute sa famille. Et même d'autres familles. Comment allaient-elles surmonter tout cela ? Perdre leur maison est une chose, mais les liens du sang ne se remplacent pas. Elle n'osait plus croiser son regard à présent, de peur d'y voir le reflet de sa tristesse. Oui, ils allaient laisser des traces... c'était tout ce qu'ils pouvaient faire si leur groupe devait avancer. Mais la tempête ne risquait-elle pas de les détruire ? Les disparus n'avaient-ils pas besoin qu'on leur porte secours, plutôt que d'attendre leur retour ? Toutes ces incertitudes rongeaient la lionne, et elle savait que Magdalena devait partager ce même sentiment.

Pour cette même raison, la blonde ne fut pas surprise quand sa mère ajouta qu'elle ne pouvait la laisser ici. Abandonner son mari était déjà compliqué et il était inconcevable d'en rajouter. Malgré tout, Astria laissa échapper un soupir. Elle sentait que son coeur se briserait un peu plus à chaque pas, et comme si Magdalena l'avait ressenti, elle l'entraina à contre sens de la marche. Ne parvenant à réfléchir clairement, la Leo lui adressa une simple oeillade, la suivant sans résistance jusqu'à l'orée de la forêt. L’attendre encore un peu. Ses paroles ne lui sont pas adressées, mais la blonde les intégra avec gratitude. Oui, parfois quelques minutes pouvaient faire la différence. « Merci, maman. » murmura t-elle alors, blottie dans ses bras pour tout réconfort. Cela ne la protégeait pas de la pluie, mais toutes les deux n'en avaient que faire. Les trombes d'eau se mélangeaient à leurs larmes, et à cet instant, la blonde se dit que peut-être, le ciel pleurait avec elles.

Les minutes passèrent, sans qu'il n'y ait le moindre signe de vie. Au loin, on pouvait encore voir la masse formée par les autres Astraux. Le temps semblait passer à la fois vite et lentement. Trop lentement pour leurs coeurs meurtris, et trop vite pour leurs maigres espoirs. Finalement, sa voix brisée par le chagrin s'éleva à nouveau. « Il ne va pas revenir, n'est-ce pas ? » Pour elle, il était difficile d'envisager un "plus tard". Si elles partaient maintenant, elle avait la sensation que plus jamais elles n'auraient la chance de le revoir. Et cela lui donnait la sensation de devoir abandonner une partie d'elle-même. « Pourquoi est-ce que les astres n'empêchent pas ce genre de choses ? » Question rhétorique, mais par frustration il lui fallait l'extérioriser. Elle voulait savoir si sa mère aussi, se posait les mêmes questions. Plus que jamais, elle avait besoin de sa sagesse, même s'il était peut-être égoïste d'attendre quoi que ce soit d'elle à cet instant.

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Il ne va pas revenir, n'est-ce pas ? Même s'il elle se refusait de l'accepter, Astria sentait que le dire à haute voix rendait tout cela plus réel. Elle savait aussi qu'il était préférable qu'elle soit la première à le dire. D'elles deux, c'était bien pour Magdalena que cela serait le plus dur. Malgré le tourbillon de chagrin qui avait envahi son esprit, Astria était en mesure de le réaliser. Elle perdait un père, mais sa mère perdait le compagnon d'une vie. Elle avait même dû faire le choix de partir sans lui, et à présent il lui revenait aussi de demander à son enfant d'abandonner. La Leo ne voulait pas lui faire subir ça, et peut-être que ses paroles visaient justement à l'aider dans cette épreuve, ou tout du moins à ne pas lui en laisser le fardeau tout entier. Était-ce une manière d'échapper à son propre chagrin ? Peut-être. Mais, dans la situation présente, elle ne pouvait que faire de son mieux. Magdalena rompit alors son propre silence pour confirmer leurs craintes à toutes les deux. Oui. Le père de famille était quelqu'un de raisonnable, qui n'aurait pas prit de risques inconsidérés, sauf pour revenir parmi eux peut-être... mais à l'heure qu'il était, et vu l'intensité de la tempête, son retour semblait désormais peu probable. Leur propre départ était désormais imminent, afin de ne pas risquer de se perdre elles aussi dans cette terrible tempête. Pourtant Astria n'en ressentait pas la peur. Elle n'éprouvait que la sensation désagréable qu'un creux s'était formé dans sa poitrine. Un creux, un vide. La blonde avait silencieusement hoché la tête suite aux paroles de sa mère, avant de la questionner sur la place des Astres dans tout cela. Et dire que son propre prénom en était un dérivé... quelle ironie cela représenterait, si les étoiles finissaient par les abandonner.

La colère dans le regard de sa mère lui permit de comprendre qu'elle partageait au moins une partie de sa réflexion. Toutefois, ses paroles comme récitées la laissèrent dans un premier temps sur sa faim. Peut-être que Magdalena n'avait pas le choix. En tant que meneuse, elle devait certainement garder une foi inébranlable, même à cet instant. Pourtant, la meneuse poursuivit, comme si elle s'adressait directement au ciel. Oui, leur peuple méritait la paix... ils ne faisaient que suivre le chemin tracé pour eux par les étoiles, sans pour autant jamais trouver un semblant de stabilité. Elle suivit le regard de sa mère, en direction de l'azur nuageux au dessus d'elles. Si jamais ils faisaient quelque chose de travers, les étoiles ne le leur avaient jamais dit. Comment étaient-ils censés le savoir ? La colère se mêlait au chagrin, et comme pour mettre un terme à cette discussion à sens unique, le tonnerre déchira le ciel à nouveau, faisant tomber un arbre à proximité d'elles. Leur étreinte se resserra alors qu'elles reculèrent de quelques pas, et à nouveau un peu plus quand l'interprétation de Magdalena fendit le silence. « Allons-y... avant qu'un malheur supplémentaire ne nous tombe dessus. » Sa voix était brisée par le chagrin, comme étranglée par sa gorge serrée. Elles n'avaient pas le choix. Astria jeta un dernier et long regard en arrière, avant de se détourner vers la masse sombre que représentait désormais leur peuple au loin. « Ça n'aurait pas dû se terminer ainsi. » regretta t-elle après avoir avancé de quelques mètres, la mine sombre. Tout cela était injuste, trop injuste. La blonde était d'ordinaire curieuse d'explorer de nouveaux territoires, mais cette fois elle n'en ressentait ni l'envie ni l'énergie. L'aventure n'avait pas un grand intérêt, lorsque quelque chose allait manquer au final. « Maman... » susurra t-elle, ayant gardé sa main dans la sienne depuis leur départ. Ou plutôt, peut-être que Magdelena l'avait gardé ? « Il voudrait que l'on traverse cela ensemble... alors s'il te plait, une fois que l'on aura retrouvé les autres, n'essaie pas de porter tout le poids de cette tragédie seule, d'accord ? » Elle était une meneuse et Astria savait que c'était un peu son truc, mais elles étaient une famille et cet événement ne devrait pas les écarter, bien au contraire.

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