Le Jour de l'Unité était arrivé et Javier Sydney attendait impatiemment dans les couloirs de la Station Médicale. Tout un chacun savait que Javier était un homme respecté sur l'Arche, bien plus pour son mariage que pour son apport sur la station. Même en ce grand jour, il était cerné par la fatigue et l'angoisse, le dos voûté et la barbe mal rasée quand, en ouvrant la porte d'une chambre d'appoint, il faisait face au visage éclatant et serein de celle qui monopolisait toutes les admirations ; Diana Sydney. Elle tenait, dans ses bras, un nourrisson à peine né, que les deux amants appellèrent Nathanaël, en référence à son grand-père maternel.

Deux jours après, Diana reprenait déjà son rôle de Chancelière et satisfaisait les habitants de l'Arche, toujours prête à tout pour maintenir l'ordre et la paix entre les travailleurs.



La garde était entrée en trombe dans les appartements de la Chancelière. Aussi surprise que son fils et son mari, elle fut aussitôt mise à l'écart, avec son rejeton, par le Commandant Shumway, alors moins bien promu mais déjà prometteur, qui s'excusa pour la suite. Ce fut bien le seul, à se montrer aussi humain, car les autres gardes ne firent que prendre Javier et le traîner dehors, sans dignité aucune. Thelonius Jaha était à l'extérieur, remettant les chefs d'accusation. Javier était accusé de vol et, comme chaque délit commis sur l'Arche, et comme la Chancelière le savait bien, il n'y avait qu'une issue. La mort.

Peu de temps après, Diana est contrainte d'abandonner son poste de Chancelière, sombrant dans une dépression, envieuse d'en finir avec cette peine qui lui broyait le coeur. Elle se raccrocha à son fils, mais aussi au Commandant Shumway qui fut son premier loyal serviteur, prêt à tout pour lui redonner le sourire. S'en suivit une relation fusionnelle, une obsession malsaine de Shumway pour Diana qui, de son côté, préparait d'ores et déjà sa revanche.


Tout s'était récemment accéléré. Abby avait perdu sa place au Conseil quelques jours plus tôt, suite au projet des 100 qui fut une source de tensions dans toute l'Arche. Dix jours seulement après leur envoi, les 100 étaient considérés comme morts, et le projet Exodus avait été mis en place. Jamais le vaisseau ne pourrait accueillir tous les Archéens, elle le savait et l'avait préparé depuis plusieurs mois. Elle avait encouragé Nathanaël à suivre l'exemple du Commandant Shumway et à entrer dans la garde, avait sympathisé avec des travailleurs des stations Usine et utilisé l'antipathie naturelle de Jaha pour tourner ses alliés contre lui. Tout était prêt à exploser, elle avait tout préparé.

La bombe lors de la Célébration du Jour de l'Unité n'avait été qu'une première étape et les six victimes, un dommage collatéral. Les enquêtes avaient été menées et Shumway accusé par Diana. Ce fut en voyant ça que Nathanaël, alors âgé de 23 ans, comprit pourquoi il avait suivi son mentor. Sa mère, fière, royale sur le fauteuil de leur module, avait expliqué la suite de son plan à son fils, persuadée qu'il la suivrait dans sa folie maintenant que la bombe avait éclaté. S'il était garde, c'était pour faire diversion et permettre à la Chancelière de tuer Shumway sans être vue. S'il était garde, c'était pour lui permettre d'avoir des passe-droits pour récupérer discrètement du matériel. S'il était garde, c'était pour faciliter sa prise de pouvoir et récupérer l'Exodus. Perdu, il obéit aux premiers ordres. Diana Sydney savait corrompre tous les coeurs. Elle entra dans la cellule de Shumway, l'homme émit son dernier soupir et, quand elle ressortit, son fils s'éloigna sans rien dire. Il rejoignit la Station Agro et acheta autant d'alcool frelaté que possible, le cachant sous sa veste pour passer la soirée à vider les deux bouteilles.

Le lendemain, le projet Exodus était lancé. Pas celui de Jaha, oh non, mais bien le refuge de Diana qui avait attendu tous ses hommes pour refermer les portes... sans voir son fils. Nathanaël arriva parmi les premiers, avec Jaha, Kane, Sinclair et des travailleurs, pour tenter de forcer les portes. Son corps chancelait malgré lui, et ses poings n'ajoutèrent pas un seul dixième de force supplémentaire. La mère et le fils s'échangèrent un seul regard et, si elle semblait regretter ce malheureux retard, le jeune homme la toisa d'un regard noir, plein de rancoeur. Ce fut à ce moment-là qu'un travailleur le chopa par le col et le plaqua contre la maudite porte à demi-ouverte, hurlant qu'il avait le droit, et le devoir, d'entrer pour rendre son fils. Malgré ça, Diana ne flancha pas et, crachant une dernière fois son venin, elle partit avec l'Exodus. Une seconde explosion retentit, précipitant l'Arche dans sa chute. Le manque d'air prit rapidement tout le monde à la gorge, et chacun n'avait plus qu'un coupable en tête ; Diana Sydney. Si elle était loin, trop loin pour être à portée de poings, sa progéniture était encore là. Ainsi, pendant que Jaha, Abby et d'autres sauvaient la population en ayant encore foi en l'être humain, une partie des travailleurs préféra s'assurer qu'aucun Sydney ne trouve refuge dans l'une des stations capables d'aller sur Terre. Il aurait pu compter le nombre de ses os qui s'étaient brisés -enfin, c'était tout comme- et il découvrit des parties de son anatomie. Oh et puis, merde, il n'en avait plus rien à foutre, de son langage. Ces types lui avaient cassé la gueule, sans raison.


La Station Agro s'était écrasée en plein territoire montagneux. On s'caillait, et c'était probablement la seule raison pour laquelle Nathanaël était encore en vie. Le froid annihilait ses sens, et son corps foutrement endolori. Il avait réussi à se faufiler dans la station avant le décollage, plus par miracle qu'autre chose, comme une putain de mauvaise herbe impossible à crever. Il était tombé sur Pike, pas le plus fervent admirateur des Sydney, mais il protégeait les Archéens. Tous les Archéens. Enfin, il avait essayé et, conscient qu'ils allaient finir par le tuer dès que leurs poings le leur permettraient, le Fils de prit les devants, chopa un Barrett M82 et toutes les munitions compatibles avant de quitter le camp, échappant de quelques heures l'esclavage des Azgeda.


Cela faisait dix mois qu'il était parti de son côté. Il avait soigné ses blessures comme il avait pu, héritant d'une balafre sur la joue gauche pour seule conséquence, puis étais parti hors des contrées de glace, trouvant tantôt des montagnes escarpées tantôt des lacs aux cascades immenses. Sans le savoir, il arpentait Boudalan kru et Ouskejon kru, se cachant des Natifs, ne les affrontant qu'en cas d'extrême nécessité. On pouvait trouver quelques cadavres, avec un troisième oeil sur le front. Nathanaël ne manquait jamais sa cible, que ce soit avec son Barrett ou le lance-pierre qu'il s'était fabriqué pour économiser des munitions. Non, Nathanaël, c'était fini. Officiellement, Pike l'avait annoncé comme mort lors du crash. Il était plus que Nat, et il survivait bien comme ça. La chasse, la pêche, et plus aucun nom de famille pour lui crever la vie. Il avait appris à le détester, ce nom, comme à se méfier de tous et de tout. Il avait eu le temps de penser à son passé, à tous les indices qu'il avait loupés, à tout ce qu'il aurait pu empêcher, et à tous ceux qu'il aurait pu sauver. Alors, il pensa qu'à lui et ne s'occupa que de sa survie. On était jamais mieux servi que par soi-même. La tempête du mois de mai ne l'effraya même pas, il se cacha dans les montagnes de Boudalan pour échapper à la foudre. Quand il en sortit, il put épier des Natifs réparant des villages entiers, et s'en approcha pas. Il avait compris que les survivants s'étaient séparés en plusieurs clans ou territoires, comme il avait retenu les premières phrases des Natifs qu'il avait pu croiser. Ce fut en observant qu'il aperçut des troupes archéennes au milieu de ces inconnus, assez pour penser que la majorité avait survécu. Sa mère, aussi, peut-être. Les Sydney étaient increvables, après tout, pas comme les connards qui s'étaient pris des mines, au loin, manquait de l'enfouir dans sa grotte de prédilection.