Il court, aussi vite qu’il le peut, ses petites pattes le propulsant rapidement entre les feuillages. Une course effrénée que traduisaient les yeux exorbités de celui cherchant à distancer le prédateur à ses trousses. Mais cette course était vaine, les foulées menaçantes martelaient le sol à quelques mètres à peine, réduisant peu à peu cette distance. Encore quelques secondes, des crocs claquaient dans le vide face à cette issue fatale. Il ne fallut qu’une fraction de seconde pour que le loup, d’un bond, se jette sur ce pauvre lièvre dont le destin avait été fixé à l’instant où le prédateur avait choisi sa proie. Telle était la chaîne alimentaire, du plus faible se faisant dévorer par le plus fort. Mais à peine le canidé avait-il pu goûter à la chair de sa proie, qu’une lance vint lui ôter toute chance de survie en se fichant dans son torse. Le coup n’avait pas été fatal, mais l’animal n’avait plus aucune chance de survie alors qu’il se retrouvait désormais privé de son souffle d’air par l’arme fatale manœuvré. Son agonie dura jusqu’à ce que l’adolescent l’ayant pris en chasse ne vienne l’achever.

Tout cela, Lo’ak y avait assisté depuis l’arbre où il s’était dissimulé. Il avait pu observer avec admiration la chasse du lièvre, mais le dégoût naquit dans son esprit quand il vit ce jeune prendre en chasse ce prédateur si vénérable aux yeux des Louwoda. Sa poigne s’était raffermie sur le manche de son arme, sa décision venant d’être prise. Pour le crime d’avoir abattu celui qui représentait Shugaï, il se condamnait à devenir la proie du jeune Louwoda. Le Podi Homplei avait pour rituel de chasser un prédateur, et au quatrième jour de celui-ci, Lo’ak avait choisi celui qui perdrait ce statut par la mort. Son attaque avait été rapide, précise, et mortelle pour celui qui n’avait rien vu venir. Le garçon avait appris à user de cette arme depuis son plus jeune âge, d’abord simple hachette, puis modifiée par ses soins pour désormais la récupérer sans quitter son perchoir. Les Louwoda savaient se fondre dans la masse, être si discret que personne ne pouvait deviner leur approche, et Lo’ak comptait bien rendre honneur à cette tradition par sa propre maîtrise.

Il était revenu victorieux, avec la tête du chasseur intrépide comme trophée. Lo’ak n’avait aucunement ressenti de la peine en commettant son acte, ayant vu sa victime comme la proie qu’il traquait. Son choix avait alors été fait, alors que le garçon prit la décision de s’engager sur le chemin de la bataille. Durant les six années qui suivirent, il devint le disciple d’un chef de guerre qui avait approuvé le geste. Le jeune Louwoda avait cette volonté de défendre les terres de Shugaï et il comptait bien tout mettre en œuvre pour le faire. Il se forgea la carapace qui deviendrait sienne, développa ce mental qui pouvait parfois le faire passer pour le monstre qu’il n’était pas, mais il ne laissait rien entacher sa mission. S’il avait gardé sa hachette, symbole de son destin, il apprit aussi à manier d’autres armes, et à user d’autres techniques de bataille. Des techniques qui pouvaient le rendre tout de même plus réticent, alors que l’adolescent favorisait la discrétion que pouvait lui offrir le couvert des arbres. Mais un guerrier n’avait pas toujours le choix du terrain et c’était bien une chose que Lo’ak pu durement apprendre auprès de son mentor.

Ce fut comme si le sommeil s’offrait à lui. Il s’enfonçait avec calme dans cette transe qui allait marquer un tournant important dans sa vie. Lo’ak avait bu le breuvage sans aucune crainte, prêt à accueillir la vision qui l’attendait. Aux prises du psychotrope, il avait rapidement sombré dans cette illusion où la réalité se mélangea dans un monde onirique sans fin. Il était incapable de reconnaître le lieu qui s’était formé sous ses yeux et dont les couleurs étaient loin de ce dont il avait l’habitude. Mais ce qu’il pouvait parfaitement définir, c’est cet animal qui s’approcha de lui, avec une confiance inspirante. Le lynx ne le dominait pas de sa hauteur, mais sa prestance suffisait à Lo’ak pour lui donner son respect. Il savait que cette vision ne signifiait qu’une chose, que cet animal devenait ce totem qu’il honorerait. Ainsi, la figure de ce félin vint prendre place sur le bras de l’adolescent lors de son éveil de son Goufa Pakka. Il était désormais un enfant de la meute et comme le lynx savait protéger les secrets de la nature, lui-même protégerait les secrets des Louwoda.

Sa vie ne fut tout de même pas entièrement tournée vers cette volonté de se battre pour son clan. Lo’ak était certes assidue, devenant un Wanlida empli de fierté après avoir combattu dans les arènes, mais il n’en oubliait pas ce que pouvait aussi être la vie. Et lorsque son cœur ratât un battement pour l’une de ses camarades, il ne pouvait lutter. Une guerrière aussi vigoureuse que lui et n’ayant passé ses rituels que peu de temps avant lui et avec qui il guerroyait lorsque les haches étaient loin d’être enterrées. L’amour fut réciproque et durant quelques années, le jeune homme était aux côtés de cette guerrière, sur le champ de bataille et dans leur demeure. Une romance de laquelle découla un enfant. Un petit être qui donna une vision plus élargie de l’avenir au Wanlida, qui connaissait pourtant le deuil en même temps.

Sa compagne n’avait pas survécu à la naissance et n’avait laissé que cette petite fille qu’il allait chérir comme la prunelle de ses yeux. Le féroce guerrier laissa apparaître cette facette de douceur que ne pouvait connaître que sa famille. Une petite qui allait pourtant être élevée par d’autres que lui, bien qu’il ne se retirât pas non plus de sa vie. Conscient de son rôle de Wanlida, de son devoir envers Louwoda, il n’avait pas voulu imposer cela à l’enfant. Lo’ak l’avait alors confié aux prêtresses du temple de Shugaï, confiant dans la protection que leur dieu aurait envers la petite fille. Une petite fille qu’il eut le plaisir de voir grandir, revenant la voir dès lors qu’il n’était pas en mission et à qui il inculquait les valeurs qui lui semblait des plus essentielles. Associé à celles du temple, il espérait que celle-ci saurait voir le monde selon sa propre vision et se montrerait aussi forte que l’était sa mère.

Et ce monde, il participa à son changement. Si Lo’ak restait l’homme intègre face au roi présent, il n’était pas toujours en accord avec ses décisions, qu’il trouvait parfois puériles et indignes de son peuple. Mais s’il ne les approuvait pas, il ne se rebellait pas non plus, préférant se focaliser sur ses propres valeurs et la protection de Louwoda. Du moins, cela avait été jusqu’à ce que la colère commençât à gronder, nombreux étant à se lever devant celle qui deviendrait leur future reine. De ceux-ci, Lo’ak en fût, analysant que c’était ce qui pouvait arriver de mieux pour leur clan, et pour sa propre fille. Il vit alors la chute de cette époque où l’esclavagisme était une normalité et où la famine et la misère régnaient. Une nouvelle ère allait commencer et le guerrier aida celle-ci à prendre place dans son temps.

Mais avec cette reine aussi il avait ses différents, notamment sur sa vision de la Coalition. Il y voyait une occasion pour Louwoda de prospérer et notamment de mieux se protéger de menace extérieure. Une opinion qu’il gardait pour lui, comme bien d’autre chose. Cela ne l’empêchait pas de rester fier de servir sa reine et de faire ce qui devait être fait pour son titre de Wanlida. Ainsi, il gravit les échelons, devenant le mentor de jeunes voulant faire leurs preuves, mais combattant aussi pour les siens, et pour la Coalition. Il y eut cependant un combat qui resta en travers de sa gorge comme une cuisante à défaire. Et par combat, il hésitait à le nommer ainsi, tant cela n’en avait pas été un.

De se faire prendre le temple en otage, c’était cette fameuse défaite alors que leur reine n’eut d’autre choix que de plier le genou face à Sheitan. Lo’ak ne voulait pas en faire de même et était prêt à faire jouer de ses armes, mais le faire mettait la sécurité de sa fille en danger. Il avait beau être le premier à toujours prôner que le choix était toujours présent, le guerrier dut reconnaître que cette fois ce n’était pas le cas. Il n’avait pas la possibilité de faire ce choix que de se battre, tout en savant que les hommes de cet Ouskejon avaient la main mise sur des otages. Il ne put que faire semblant, cherchant constamment un moyen d’agir par derrière afin de ne pas simplement subit. Un moyen qu’il n’avait malheureusement toujours pas trouvé lorsque la Coalition vint marcher sur leur terre et ramena la paix dans le clan. De cette paix, Louwoda en paya le prix en découvrant que leur reine avait été tuée par ces Ouskejon envahisseurs. Le clan était désormais sans reine et Lo’ak eut la surprise d’être choisi pour être leur nouveau roi. Désormais, c’était à lui de relever le clan de ces terribles évènements, mais aussi de retrouver leur honneur face à Heda.