Bloody big cat

La bête était abattue et c'était mon beefteak, à moi et rien qu'à moi. J't'avais volé ta proie, et volé celle de ce gros puma mal fichu. J'étais pas peu fier et souriai narquoisement, te dardant d'un regard qui cherchait le même type niais et pervers de la dernière fois. J'cherchais pas à te retrouver, mais maintenant que t'étais là, autant supporter ta langue trop bien pendue et tes mains baladeuses. Sauf que, aujourd'hui, tu avais pas l'air bavard. T'agissais, et c'était pour peloter un cadavre encore chaud et te prendre ta part, que j'vérifiais que tu embarques pas ma bouffe. Bizarrement, tes doigts étaient super précis et pas cons du tout. Ton boulot de découvrir la faune et la flore, c'était de découper des animaux morts ? Ça f'sait vachement scientifique à la con, ça faisait vachement Archéen.

Je rattrapai le sac de cuir et l'ouvris même pas. Du sel, du poivre, de la poudre ou des cailloux, j'en avais rien à foutre, puisque le sac retourna entre tes pattes aussi sec, en répétant :

"Du sel, pour la viande."

Tu mettais pas de prix, j'gardais pas tes affaires. La balle avait pas besoin de paiement, puisque je t'avais pas sauvé. J'avais juste abattu mes prochains repas. Festins, même. Assez pour vingt personnes, ou pour deu-Tu fis demi-tour et te cassai déjà. Ma mâchoire se serra en silence. Sérieux ? Tu partais comme ça ? Pas d'discussion à la con ? Pas de longue tirade ? Pas de leçon de morale ? Même pas de surnom con ! On dirait presque une autre personne, un autre type qui te ressemblerait et aurait ta voix. J'entrouvris les lèvres en cherchant un truc pour que tu restes, mais trouver un truc, c'était avouer que tu m'déplaisais pas tant que tu respectais mes règles. Trouver un truc. N'importe quel truc. J'dus murmurer un "fais chier" avant de me mordre l'intérieur de la joue. J'avais trop de fierté. Et puis, j'récoltais ce que j'avais semé. Je t'avais blessé pour te faire fuir, mais en finissant notre quickie par une leçon d'morale dans un câlin, j'imaginais que te croiser aurait recommencé la même chiasse romantico-débile. Finalement, je m'agenouillai devant mon trésor et palper son pelage pour repérer ses côtes. Dépecer, récupérer la viande, en faire sécher un max pour faire des réserves et me taper un énorme steak à la belle lune.

Ta silhouette allait disparaître quand ma voix siffla, d'un ordre :

"Ramène du bois."

Et ramène ta gueule.

Bloody big cat

Mais qu'est-ce que j'en avais à faire du sel pour la conservation ?! J'avais mes méthodes et j'détestais pas mal qu'on me donne des conseils sans rien attendre en retour. C'était pas possible d'être aussi con, vieux pervers. Ma mâchoire se serra, prêt à t'en foutre une si, après ta réplique blessante, tu avais osé me rendre ton truc de sel. Agenouillé devant le puma abattu, j'allais me faire de la fourrure et pas mal de viande séchée, à MA manière, sans avoir besoin de ta pitié mal placée. Entre nos deux rencontres, tu avais quand même tilté qu'il valait mieux m'abattre que me saler la gueule, non ? Ton étreinte, c'était juste parce que t'étais du genre niais, mais même le plus gentil des enfoirés finissait par comprendre qu'avoir une balle dans son chargeur, c'était la clef de la survie. J'avais toutes les raisons du monde pour te laisser partir et pas traîner dans l'coin non plus, au cas où ce monstre avait une copine ou des gamins. Va savoir pourquoi j't'avais ordonné de ramener du bois, de revenir quoi, de partager avec moi un moment où tu seras aussi insupportable et dangereux avec ta vieille langue qui raclait le sol. Va savoir pourquoi je voulais que tu reviennes. Va sav-Mes yeux s'exorbitèrent à ta réplique et je mordis fiévreusement ma langue à sang. Qu-Quoi ? Depuis quand tu me donnais des ordres, hein ? Mon regard fut incapable de te regarder, de bouger, juste de voir quelque chose jusqu'à ce que j'entende tes pas reprendre pour s'éloigner. C'était le but, qu'on me rejette comme la peste, puisqu'j'étais aussi mortel que les puces de rat et aussi immortel que la peur de la maladie. Quand c'était les Archéens, ça m'faisait sourire. Quand c'était un mec qui en avait été jusqu'à accepter de baiser avec moi, ça f'sait un peu mal au coeur.

Tellement mal au coeur que je me relevai. Que j'laisse mon butin pour ton sourire à la con, tu pouvais l'oublier. Je passai mon Barretta contre mon torse, et, d'un élan, passai les pattes avant du félin de chaque côté de mes épaules. Le poids traînant à l'arrière était tout sauf pratique. 'Chier. Deuxième technique, et le corps s'finit sur mes épaules, les pattes traînant toujours au sol tant c'machin était massif. Tous mes muscles bandèrent sec, frissonnant d'détresse, la nuque avachie par le poids du pelage. Compte pas sur moi pour me plaindre ou t'reluquer en arrivant avec ce truc insupportablement lourd. 'Fin bon, rien qui pouvait m'faire lâcher, encore moins devant témoin. Un acte valait plus que trois mots. Et là, j'te rappelais juste qui était le plus fort. Au centre de la clairière, près de ton manège dont j'loupais pas un millimètre de peau, je laissai retomber le puma et sentis mes épaules craquer de soulagement. Je m'étirai les bras en retenant un grognement, mais pas une main baladeuse pour frapper l'une de tes fesses encore habillées en soufflant :

"T'as d'la saleté sur le cul, aussi."

Mes lèvres fines disparurent dans un semblant de sourire, avant que je n'me serve en bois pour préparer mon festin sur ton territoire.

Bloody big cat

Fuis-moi, je te suis. Suis-moi, je te fuis.

Tu pensais vraiment que j'allais tout d'suite te désapper et reprendre une partie de jambes en l'air sans raison ? La première fois, c'était par instinct. La seconde, ce s'rait du désespoir. J'avais pas voulu rester seul avec la carcasse de ce mastodonte. J'voulais pas rester avec ce vieux pervers qui avait oublié d'être chiant mais pas d'être pervers. Nos lèvres s'étaient effleurées d'un baiser, et j'préférais embrasser les os du puma que d'te laisser ma langue en patûre. Je tournai la tête en sentant ma mâchoire se crisper. Agis pas comme si on était ensemble, ou même juste proches. On était que dalle. On avait jamais été quelqu'chose et j'comptais bien te faire chier jusqu'à ce que t'arrêtes de m'ouvrir des portes que je détruisais sans pitié. Et y avait pas que les portes métaphoriques que je voulais détruire en t'entendant critiquer mes efforts. Tout était prél'vé, et alors ? Je pouvais trouver ce que tu avais loupé. Un peu d'chair, un organe caché, juste des os assez solides pour être utiles ou... ou que dalle. Tu l'attelais et t'embarquais pour l'éloigner. Moi, je réagissais à peine et te fusillais d'un regard assassin jusqu'à ce que ta silhouette disparaisse entre les arbres. Je fermai les yeux, grognai en prenant mon visage dans les mains. Rhaaaaaaa ! Sérieux ?! Mon butin, mes règles, ma balle. Bordel, t'étais passé d'esclave niais à connard de moraliste. J'étais bien assez grand pour m'débrouiller tout seul sans me taper les conseils de Jean des Bois.

Je m'accroupis et repris mes esprits. Si ta sale langue disait pas que des conneries, ça montrait juste que j'étais perché. Et c'était pas à cause du gars qui écrivait des lignes en comprenant mal la réponse d'avant, ce serait pas rp, mais sûr'ment à cause des espèces de mûres que j'avais bouffées plus tôt. Elles me faisaient mal aux tripes, mais est-ce qu'elles avaient pas un autre effet. Comme me rendre con. Ou te rendre encore plus insupportable que la dernière fois. Persuadé que tu pouvais que te foutre de ma gueule si j'disais que j'avais avalé des baies noires qui m'foutaient le transit en vrac, je profitais de ton absence pour me relever et aller faire disparaître les preuves, les dernières baies, les écrasant au pied d'un arbre avant de cacher cette bouillie noirâtre avec des feuilles et de la terre. Je revins et eus juste le temps de m'accroupir à nouveau avant que tu reviennes avec tes grands airs de m'sieur je-sais-tout. Le foyer du feu fut prêt en quelques secondes, et tes mains revinrent peloter les miennes. Je relevai la tête, clairement hermétique à ce rapprochement inutile. Tu voulais le faire, le feu, pas vrai ? Alors bouge.

Le feu prit sous nos yeux et, forcément, ta langue pouvait pas s'en empêcher. Pour critiquer mon odeur, ou mon  apparence, 'fin franchement, se laver avec ton eau, c'était pas dans mes projets.

"On est pas à l'hôtel, j'te pique ton feu c'est tout."

Les dettes, pas envie d'en avoir. Déjà qu'y fallait que je fasse preuve de mauvaise foi pour oublier que rien que ce feu devrait me coûter quelque chose. J'eus une quinte de toux, crachant par terre un mollard qui aurait au moins l'mérite de calmer ta libido. La salive et quelques gouttes de sang tâchèrent les herbes. Mon sac fut aussitôt posé d'ssus pour le cacher, et je chopai silencieusement ta manche, ou ton col, le tissu qui passait par là quoi, pour te tirer à côté d'moi.

Bloody big cat

Nos regards se croisèrent et, aussitôt, ma mâchoire trembla d'agacement. J'crois que j'avais pigé ce que tu allais vouloir faire. Juste avant que tu commences ton spectacle, j'avais sifflé :

"Ose même pas..."

Tu te levas, et voilà qu'tu me faisais chier. T'imaginais quoi ?! Que tu allais lire dans mes pensées et me soigner juste d'une putain d'intoxication alimentaire. Mal de bide et crachat, ça pouvait être pire. Tu posas ta main sur mon torse pour m'installer et je te fusillais silencieusement. Ose me soigner, vieux pervers. L'abruti des étoiles comptait bien te foutre la râclée de ta vie ! J'restais assis, même s'il fallait te foutre mon poing dans la gueule. Tu touchas à mes affaires, juste pour voir un peu d'salive et une goutt'lette de sang. C'était pas une hémorragie, ça va ! Et dès que tu me tournas le dos pour suivre les faits et gestes de ce connard d'enfoiré de collabo voleur, je me rel'vai. J'crois que je préférais encore pas bouffer mon puma que de rester à t'écouter débiter des conneries et, pire, à m'aider. T'étais pas l'Abbé Pierre et j'étais pas un clochard en quête d'une pièce de deux. De la Belladone ? Et bah quoi ? Si c'était mauvais, j'en reprendrai juste jamais et m'contenterai d'une myrtille ou d'la mûre. Tu revins avec ton bol à la con, avec cet air à la con, et ces paroles à la con. Boire du sel pour gerber mes tripes devant toi ? J'trouverai bien un buisson pour le faire tout seul, suffisait d'mettre un doigt assez profond.

C'était là que tout ton p'tit manège prenait fin. Au lieu de gober bien gentiment ton poison, je l'avais repoussé d'un geste de la main et l'avais fait tomber à terre.

"Tu vas pas m'faire chier ! C'est qu'un mal de bide et un peu de sang alors fous-moi la paix ! J'veux pas de ton aide !"

Je méritais pas qu'on m'aide alors lâche cette putain d'idée d'être un gentil infirmier avec ton sel et ta connaissance des plantes à la con. J'devais même pas me reposer, par TA faute, et j'transpirais autant que pendant la chasse. Ça avait aucun sens. Fais chier. Monter dans un arbre, m'y attacher et attendre que ça passe, c'était clairement plus intelligent que rester dans tes pattes à attendre un moment d'faiblesse pour me faire sauter dessus. T'as pas ma confiance. Tu l'auras jamais, que tu sois un vieux pervers, un sale con ou l'homme parfait. J'la méritais pas, ta confiance. Je repris mon sac, mon Barretta alors que tu me menaçais à ta manière. Le souffle court, j'avais soufflé froidement :

"Fais ça et je te jure que j'te tue."

Comme quoi, qu'on passe un bon moment la dernière fois, c'était bien un accident. Un truc qui s'r'produirait pas. Un machin ridicule, impensable, une connerie... une... Il f'sait chaud ouais. Fallait vite dégager. La nuit tombait super vite et j'y voyais quasi que dalle.