Chaussettes !!!!

Le moment était clos, fini, terminé. Ça servait à rien d'en parler ou de rester collé l'un à l'autre comme une vis et un boulon. Ça servait à rien de causer non plus, et tu semblais pas vouloir le faire, d'toute façon. Tu t'occupais encore de moi, essuyais nos dégâts sur mon ventre, et je pouvais que te chercher narquoisement. Tu savais encore t'éclater, c'était pas toi qui en doutais, mais, comme pour chacune de tes attaques, j'avais pas dit mon dernier mot.

"C'est toi qui veux plus t'astiquer tout seul, que c'est triste, pas moi. Pourtant, t'es carrément pas mauvais."

C'était le plus intense compliment dont j'étais capable et tu devras t'en contenter. Comme t'avais intérêt à profiter des quelques secondes durant lesquelles j'étais encore à poil, avant de renfiler mes vêtements poussiéreux et d'y accrocher, comme toujours une maigre armure improvisée. C'était des épaulières avec des semelles de chaussures. Le caoutchouc, le vrai, c'était plus résistant qu'une balle. 'Fin, pas des balles de mon Barretta adoré, mais des balles de 9mm classiques. Un mouvement dans les buissons, tu pris ta dague, je visai le remuant du canon. Un complice, maintenant ? S'il avait tout vu, il avait juste voulu te laisser prendre ton pied. Louche mais possible. Mon coeur tressauta. Tu cachais bien ton jeu, vieux perv-Un animal. Tu lanças l'arme en premier, pleine poitrine. Je baissai le viseur et te vis donner à manger à ta voleuse. Ce truc savait pas chasser tout seul ? Mon regard se focalisa sur son festin, comprenant toujours pas ce qu'était cet animal, et tu t'approchas de moi. Mes yeux ne bougèrent pas d'un cil, mais toute mon attention était tournée vers toi. Prêt à agir. Prêt à relancer un combat bien moins sensuel.

Ton doigt pointa mon arme. En deux mots, tu arrivais quand même à trop causer. Mon regard sombre se releva sur toi, je haussai un sourcil et pouffai légèrement de rire.

"Sérieux ?"

Soufflais-je avant d'ajouter, plus sérieusement :

"Si tu veux crever, ouais. C'est la tentative de vol la plus polie que j'ai jamais vue. C'est le sexe qui te rend romantique ?"

Deux attaques en une. Deux pics. Deux coups en un seul regard. Et pour marquer le point final, encore une fois, valait mieux utiliser les gestes. Ma main vint retrouver ton menton pour approcher ton visage du mien et effleurer tes lèvres dans un souffle chaud. Si ça suffisait à sauver mes fesses, pourquoi pas. On allait pas remettre le couvert, j'allais pas ne plus te chercher pour autant. Je quittai ton menton et repris correctement mon précieux en main. Touche avec les yeux. Tu savais pas t'en servir, de toute manière.

Chaussettes !!!!

"C'était pas un compliment. C'est vrai."

Complimenter les autres pour leur mentir, très peu pour moi. J'étais pas comme la Princesse Griffin avec son venin de serpent qui, paraît-il, avait réussi à devenir Reine de j'sais pas trop quoi maintenant qu'elle s'était crashée au sol. Tu parles. Elle avait toute la gloire, elle allait se faire tuer à cause d'elle. Valait mieux être invisible aux yeux de ses ennemis plutôt que les gouverner. Bon. Quand l'ennemi était chaud comme la braise, on pouvait faire une courte exception.  Très courte, et que tu achevas par une question sincèrement trop honnête pour être vraie. J'allais pas te laisser ma "seule" arme ? Mon seul pouvoir qui m'assurait la survie. Certes, j'étais tout aussi mortel avec mon lance-pierre qui pendait d'mon sac ou le couteau toujours planté dans le sol, à quelques mètres de nous, à l'opposé total de tes affaires, mais ce truc, ce petit bijou de technologie, ce modèle tout confort que je soignais bien plus que moi, il allait jamais me quitter. Que je dorme, que j'mange, que j'sois en haut d'un arbre ou en plein milieu d'une rivière, il me quittait pas. Mon regard épiait tes yeux qui mataient sans relâche le sniper. Pas  le voler, hein ? Je t'aurais pas cru, si t'avais pas causé de calibre juste après. Les terriens connaissaient pas ce genre de trucs, non ? Ils disaient que je tirais du feu, alors penser calibre, munition... Où était la douille ?

"Barrett M82 calibre .50."

Dis-je sans expliquer, voulant savoir c'que tu connaissais exactement là-dessus. Tu fouillas tes affaires, puis ramenas un petit sac que tu posas près de moi. J'attendis plusieurs secondes, avant d'ouvrir le sachet et de récupérer une... balle ? Je la calai devant mon oeil, l'inspectant entre deux doigts, de haut en bas. C'était pas l'Arche, ça. Et presque sûr que face à des bombes nucléaires et cent piges sous des feuilles, les munitions étaient toutes mortes, déformées ou réduites carrément en poussière. C'était pas du .50, ça devait plus faire 10 x 90 mm que du 12,7 mais ça pourrait faire l'affaire, en ajustant la chambre. J'avais pas le sniper le plus pratique, le truc était conçu pour utiliser des munitions de mitrailleuse lourde HMG. Quatorze kilos pas chargée, la bête était pas moins ma meilleure amie qui pouvait détruire des camions et immobiliser des blindés. Avant la fin du monde, c'était la partenaire des narcotrafiquants mexicains. Ouais, les cours d'Histoire, c'était pas mon truc, mais j'en savais un rayon sur ma précieuse.

Je reposai la munition dans le petit sac. Me lancer dans une conversation me fatiguait déjà, mais puisque tu allais pas dormir, autant te faire chier. Du bout des lèvres, c'était moi qui avais lancé les hostilités. Juste parce que ces balles m'intéressaient. Je les aurais, mais à quel prix ?

"Combien ? Tu te balades pas avec un fusil, t'as chopé ça je sais pas où et tu veux t'en débarrasser. Alors, combien ?"

Chaussettes !!!!

Je cherchais même pas à te comprendre ta réplique, trop intéressé par le contenu de ce sac. Des balles comme ça, ça sortait d'où ? Et toi, tu sortais d'où ? Mon regard passa de cette magnifique munition à toi. Tu venais du sud ? Et au sud on avait des flingues ? Ça, c'était la merde pour moi, mais aussi pour les Archéens. On allait pouvoir tous les achever, finalement. Suffisait d'les laisser dépenser des balles. Ils sauront pas en fabriquer d'si tôt. Ils étaient cons. Ils le seraient toujours, même s'ils s'étaient fracassés le crâne en arrivant sur Terre. Je fermai le poing sur ta balle artisanale, en sifflant, piqué d'intérêt :

"Où, au sud. Le Mexique ?"

C'était con de te demander ça car tu causais pas des géographies des manuels scolaires, mais je pouvais ni parler du territoire de la cocaïne et des puits à Coca, ni des déserts et des gros chapeaux, alors... Démerde-toi comme tu voulais avec ce nom de pays qui dut être l'un des premiers morts de la fin du monde.

Pour une fois, j'appréciai ta langue. Dire que la poudre était pratique, c'était la première chose censée que tu débitais. Ouais, ça pouvait avoir d'autres utilisations, mais dépendait de la poudre. Est-ce que vous aviez encore de la poudre double ? Ou z'iétez retournés à la bonne vieille poudre noire ? Plutôt que de te croire, encore une fois, valait mieux des gestes. Pour ça, j'ouvris savamment ta balle avec la pointe du crochet de ma ceinture et fis tomber une quantité infime de poudre sur mon doigt. Poudre noire, pas d'saveur. Poudre double, probablement une crise de foie demain. Du bout de la langue, je goûtai. Et en attendant d'savoir si j'avais raison -enfin, ça, je le savais- et comment j'avais raison, je refermai la douille et la refoutus dans ton sac. Pour combien tu m'en vendais ? A quel prix ? Évaluer le bénéfice risque, c'était facile. Savoir pourquoi tu me répondais pas et esquivais la question, par contre. Passant mon ongle du pouce sur le bout de ma langue, je te fusillai à nouveau. Tu commençais à avoir l'habitude, y'allait falloir trouver autre chose de plus intimidant.

"Je te laisserai pas partir sans ce sac. Donne ton prix."

L'ordre sonna plus grave contre mes lèvres. J'étais individualiste, je pensais qu'à moi, fallait penser qu'à moi pour survivre et en mener large face au monde entier. J'aurais pu juste te braquer, mais t'étais tellement... bizarre, que j'espérais pouvoir te tirer ces balles à la régulière. S'il le fallait, je remettrais le couvert. C'était quoi, vendre son corps, contre un peu de secret militaire bien gardé ?

Chaussettes !!!!

Tu venais du Sud, plus au Sud du Mexique. Argentine, Pérou, Chili... Tu avais fait tout un voyage pour te retrouver là, avec des balles sorties de j'savais pas où. Ça aussi, c'était intéressant. Et si j'avais pas déjà décidé de vivre en ermite toute ma vie en esquivant tous ces ennemis, j'aurais pu te poser une ou deux questions, et causer presque autant que toi. Jamais autant, en fait, puisque même quand j'esquivais tes paroles, tu me les ramenais plein face. Si j'goûtais la poudre, c'était pour me faire mon avis, pas entendre la composition exacte de la poudre noire, inodore et insipide. Et de la poudre, comme tu l'disais, c'était utile dans beaucoup de domaines. Ça pouvait pas être un cadeau. Et un cadeau existait pas pour moi. Moi, trop méfiant ? C'était même pas la peine de répondre. On offrait pas d'trucs aussi précieux, et ouais, la bonté existait pas. Je trouverai ce que tu voulais, ce que tu attendais, la carott qu'tu voulais me mettre. J'allais trouver. Comme toi, t'allais trouver un prix à ton sac de poudre.

D'un geste, je balançai le sac vers mes affaires. J'étais d'accord pour causer, tant que je menais la barque. Ça aura au moins le mérite de réduire le temps qu'on passerait ensemble. Parce qu'après ça, tu auras littéralement toutes les bonnes raisons de récupérer ton couteau et sauver tes potes les terriens ou te rapprocher de tes ennemis les Archéens. Est-ce qu'il fallait que j'te glisse les deux-trois noms de mecs gays pour que tu saches où tremper le biscuit la prochaine fois ? Malheureusement pour Bryan, l'affreux et l'autre, j'gardais tout ce qui était à moi, dont tes qualités de pervers. Je pris une grande inspiration, ravalai ma salive et fus le plus bref possible.

"On vivait dans un vaisseau, 'fin un amas de vaisseaux. Des maisons qui s'collent, dans l'espace, quoi. Après cent ans là-haut, fallait descendre ou crever par manque d'air. Ils ont envoyé cent ados sur Terre en premier, pour savoir si c'était vivable. Quand ils ont eu la confirmation, fallait tous nous ramener à la maison. Sauf que le vaisseau qui d'vait faire le voyage était trop petit. Y a les gentils qui voulaient trouver une solution pour embarquer tout le monde, et Sydney qui a fait exploser une bombe, buté un homme et pris le vaisseau par la force. Elle est partie, paraît qu'elle a explosé en plein vol. Ils ont chopé son fils et l'ont pas mal tabassé. Et..."

J'émis un soupir, clairement soûlé de parler autant, avant de reprendre :

"Ils l'ont laissé dans un coin du vaisseau, pour qu'il explose avec, et ont trouvé un moyen d'arriver sur Terre. Sauf que l'fils se laisse pas buter si facilement, il a réussi à s'faufiler dans un  coin pour arriver avec eux. Il s'est crashé dans les montagnes, des terriens sont v'nus pour les achever, il a volé le matos de ses potes, il a buté deux-trois terriens et il s'est barré. En gros... sans munition, je suis responsable de la mort d'une centaine de personnes. Et avec, j'dirais qu'il y a au moins un  pote à toi qui doit avoir un troisième oeil."

Bon, bah au moins, c'était dit. Je me levai, rejoignis mon sac et le mis. C'était maintenant que t'avais tout intérêt à passer de débile vieux pervers à terrien assoiffé de sang.

Chaussettes !!!!

Ouais, c'est vrai ça, comment on pouvait traiter quelqu'un comme ça ? Enfin, vieux pervers, ose me dire que t'avais jamais fait du mal à un type dans ta vie. Avant toute cette histoire, j'avais enfermé des gens avec le Commandant Shumway en sachant pertinemment qu'ils allaient être envoyés à la dérive. Et sur Terre, ça avait pas l'air plus humain. Y avait qu'à voir l'état du camp des cent ados. Ils avaient cramé des terriens, et c'était pas parce qu'ils étaient arrivés avec des fleurs à la main. Alors ouais, Sydney avait fait des conneries, et j'étais un Sydney aussi. Quoi que j'en dise. Même Princesse me rappelait par mon nom, alors qu'on s'détestait assez pour se contenter de surnoms bien méchants. Je me levai. La parenthèse était close et j'comptais pas te donner un troisième oeil ce soir. Je pris mon sac et le refoutus sur mes épaules. J'm'attendais à ce que tu me plantes ?

"Tsss. J'm'attends à ce que t'essayes, ouais. Tu fais rouler ma tête près de tes potes les sudistes et tu gagnes un flingue en récompense, ou alors tu fais rouler ma tête devant le campement de Jaha, et là, tu demandes tout ce que tu veux à Pike."

C'était simple, binaire, et si j'étais toi, j'aurais déjà agi pour me tordre le cou ou me saucissonner pour apporter de la viande encore chaude. T'avais un cheval, t'étais pas con, ça s'jouait. D'ailleurs, si tu t'approchais, c'était pas pour rien. J'émis un soupir, mon bras droit maintenant mon précieux Barretta contre moi, et la main gauche rejoignant ma ceinture. Tu allais essayer. J'allais pas te faciliter la tâ-Un violent frisson secoua mon corps qui se raidit aussitôt. Tu foutais quoi, là ?!

Par réflexe, tu pus sentir, dans ton dos, la pointe du couteau. Tu m'la mettais à l'envers, j'rajoutais une ligne à ton tatouage, pigé ? Menaçant et immobile, j'fuyais pas, je restais là, j'écoutais ton débit de conneries. Sûr qu'Abby Griffin aurait pu sortir des trucs pareils. Ma mâchoire se serra, je fis un pas en arrière quand tu me libéras et rangeai ma lame sans même avoir abîmer ce tissu qui empêchait de mater ce corps pas si terrible que ça. Je dus te fixer une bonne trentaine de secondes avant de prendre ta main et montrer ta paume vers le ciel. Encore une fois, les mots servaient à rien. Je repris ma lame et, vif, traçai une égratignure dans ta paume, longligne. Je fis de même sur la mienne, même main, même endroit, longueur approximativement proche. J'avais un peu plus appuyé sur moi, p't-être. Après tout, c'était mon idée. Rangeant une bonne fois pour toutes les armes, sauf si tu sortais les tiennes, j'soufflai simplement :

"En attendant de s'recroiser, vieux pervers."

J'étais pas encore suicidaire. Je fis demi-tour et m'éloignai de la clairière, me retournant vers toi que pour te faire un signe de la main blessée. Ça te fera un souvenir. Parce que personne pouvait oublier que, moi, je blessais les autres. Donc toi qui t'entaillais le pouce en sculptant par ma faute, c'était inadmissible. Mais te mordre à sang ou te faucher la main, là, c'était dans mes compétences. A la revoyure..