Courir sans regarder derrière, descendre des rocs escarpés, marcher dans la neige, trouver la douceur d'une brise plus chaleureuse, voir les arbres remplacer les étendues gelées, marcher encore dans la forêt et, d'un coup, sentir mon pied cogner dans une souche. Violemment, tout mon corps tomba en avant, mon coude rentra dans le tronc d'un arbre mort, ma silhouette passa à travers un buisson, roula dans la pente jusqu'à se vautrer pleinement dans le nid d'une rivière. Ce ne fut qu'à ce moment-là que je me rendis compte que ma cuisse me faisait souffrir, bien plus que tous les bleus qui naîtront de cette chute. Avec la fuite, l'envie de ne plus jamais croiser ces enfoirés d'archéens, j'avais cru avoir esquivé cette flèche. Apparemment, pas tant. Trempé, je me traînai sur la rive et jetai la seule arme que j'avais pu récupérer et un sac de survie. Bon sang... Quelle merde. Ma main se plaqua contre ma cuisse en grognant, touchant la plaie pour estimer sa taille et sa profondeur. Un frisson remua tout mon corps, balayant ma chair en mordant ma lèvre à sang pour ne pas hurler. Ce n'était pas avec ça, que j'allais mourir. Mais les autres, les montagnards, n'étaient peut-être pas loin pour achever leur oeuvre. S'ils avaient déjà tué Pike et les autres... Ce ne serait pas une grande perte. Je ne serai pas une perte non plus, bien au contraire. Mourir était peut-être la seule chose que je puisse faire de bien pour les habitants de l'Arche et mourir...

Un seul bruit et tout mon corps se redressa dans un éclair pour se cacher dans les buissons, mon sac, mon arme et moi. Affalé, les vêtements sales et légèrement déchirés par la chute, les dents serrés pour éviter de grogner à nouveau, je repris toute la concentration dont j'étais capable, continuant d'ignorer les événements des dernières vingt-quatre heures et ses conséquences.

Une jeune femme, seule, près de la rivière. Tu n'avais pas l'apparence des montagnards et tu semblais moins armée. Cela ne voulait pas dire que tu ne l'étais pas, et tu me tueras si tu me trouvais. Blessé. Affaibli. Et... Trop con pour ne pas faire de bruit. Ton visage se tourna vers ma cachette et j'émis une sorte de grognement animal. Ça ne changea pas ton attention et ta méfiance. Tu parlais... ma langue, enfin je crois. C'était haché, mais compréhensible, et probablement était-ce un mensonge complet. Ne pas faire de mal à un ennemi tapi dans l'ombre, c'était du niveau de la Princesse de l'Arche, aujourd'hui morte et enterrée dans ces forêts, Clarke Griffin -et malheureusement, j'apprendrai plus tard qu'elle était toujours en vie-. D'un coup, je jetai mon sac en avant. Ce dernier roula légèrement, et fut suivi par mon corps se traînant hors du buisson, plus proche du serpent rampant que d'un prédateur grognant sur sa proie. Je tenais mon Barrett M82 calibre .50, prêt à tirer, le canon dans ta direction, l'air concentré malgré le ridicule de ma position, sur les fesses, la cuisse pissant un sang sali par la terre et la poussière. Loin de m'approcher, je me poussai avec les pieds, de la sueur froide humidifiant le bandana rouge et blanc que je portais autour de mon front, en soufflant :

"Toi. Bouge pas. Je ne veux pas te faire de mal non plus. Je pars."

Sur ces belles paroles, je voulus me relever et ne fis que trébucher en arrière, atterrissant sur le cul en grognant de douleur, le fusil toujours chargé et toujours prêt.

"B-Bouge pas.... Hmmmff. Tu me comprends, au moins ? Je vais me barrer, c'est tout, laisse-moi... deux secondes..."

Le viseur était mortel, immobile bien que tenu par un corps tremblant sous l'effort. Ouais, j'allais pas te rater, même si c'était le dernier truc que je devais faire de ma vie. Enfin, le dernier truc, c'était apparemment de laisser le type qui écrivait ces lignes poster mes mésaventures, en s'excusant toutes les dix secondes parce que môsieur savait même pas appuyer sur Envoyer après Prévisualiser. Franchement, si c'était ça, les problèmes d'avant les bombes, j'en venais à comprendre ceux qui avaient tout fait exploser. Qu'est-ce que ça pouvait bien faire, d'écrire, quand, même sur l'Arche, la seule question importante était si on allait survivre ou se faire arrêter sans raison. C'était la peur de ma m-d'elle, en tout cas. Elle disait qu'elle allait finir comme son mari, mais elle avait finalement réussi à retourner le jeu en sa faveur. Et tant pis pour la mère de Clarke. Cette Princesse devait déjà être crevée, de toute façon. Et ça allait être mon cas si j'arrivais pas à me bouger le cul. Tsss. Survivre, je savais faire. Survivre avec une entaille à la jambe plus grande que mon avenir, c'était plus compliqué. Surtout quand tu arrivais, toi, l'inconnue, la sauvage, qui causait pas ma langue et qui avait mille fois plus le droit que moi d'être là. Ça m'empêcherait pas de tirer, et il n'y avait même pas besoin de le dire avec des mots, mon regard le montrait assez bien. J'étais implacable. J'étais immortel pour cette journée au moins. J'étais... sur le cul.

"E-Est-ce que tu..."

Est-ce que tu venais de causer ma langue ? Ou est-ce que c'était moi qui rêvais à cause de la sueur perlant mon front et mes oreilles ? Mes yeux durent se froncer, mon visage trembler d'un spasme brutal et mon corps se tendre. Malgré tout, le canon ne bougea pas d'un millimètre et resta aussi précis et précieux que le plus taillé des diamants. Honnêtement, ça faisait flipper. Les terrestres étaient bien moins flippants quand ils se taisaient, tu crois pas ? On avait toujours bien plus peur de ce qui nous ressemblait. Tu parlas à nouveau. Tu lisais dans mes pensées, ou quoi ? T'avais aucune raison de m'attaquer parce que tu vivais très bien avec que des cons ne descendent du ciel pour se crasher dans les montagnes. C'était logique. Sauf que tu pouvais faire partie de ces montagnards et tu pouvais très bien me planter un couteau dans le dos, ou dans la cuisse. Ma mâchoire se serra brutalement, la langue devenue aussi lourde que le plomb de mes balles. Tu avais beau parler, parler encore, croiser les bras, ne pas bouger, j'allais pas te faire confiance pour autant. J'étais pas aussi con que les condamnés qu'ils avaient envoyés et certainement pas le genre à tomber amoureux de tous les terrestres que je croisais. Ça allait pas être aussi facile, ça pouvait pas être aussi facile. Cependant...

Ma main droite se leva doucement, les doigts écartés, pour montrer que j'allais faire patte blanche. Tout aussi lentement, je posai mon sublime Barretta à ma gauche et levai l'autre main. Pour pas passer pour le dernier des crétins, et parce que, peu à peu, ma langue s'allégeait du poids de la surprise, j'avais soufflé :

"T'approche pas."

Et ça valait dans tous les sens du terme. M'approche pas, on allait tous les deux chercher un petit coin d'eau, loin l'un de l'autre, pour ne plus jamais se croiser de nos vies. Ignorant la douleur qui faisait trembler les muscles de ma jambe blessée, je me redressai légèrement et fis un pas en avant, seul pas possible avant que je ne retombe à genoux au sol en grognant de douleur. Fais chier. Il fallait que je boive, que je fasse un putain de feu de camp pour refermer la plaie avec du métal chauffé. Mais avant, parce qu'aucun de mes défauts ne me faisait oublier des ruines de politesse, j'avais soufflé :

"Merci pour le conseil. Euh... Gracias ? A-ri-cat-o ?"

@Laska

Les excuses faisaient pas parties de mon vocabulaire, mais fallait quand même avouer que tu me donnais un sacré conseil. À la fois utile et inutile. Pas sûr que je puisse encore marcher bien loin, dans la bonne ou la mauvaise direction, avec cette foutue jambe et cette vision trouble. Trouble, vraiment... plutôt couverte par la sueur de cette course ; j'savais bien que c'était pas forcément la meilleure explication possible. Pire que ça, c'était inquiétant. Aussi inquiétant que me retrouver maintenant face à une nouvelle ennemie, clairement pas venue des montagnes. T'avais pas pu me suivre depuis ce champ de bataille, ou alors, tu n'aurais pas attendu aussi longtemps avant de te montrer. Pour ça -et aussi parce que mon Barretta devenait insupportable à tenir-, je posais le sniper au sol, assez près pour pouvoir le récupérer au besoin. Un pas et c'était fini. Tu rejoindrais les Enfers quelques heures avant moi. Le front en sueur, j'l'essuyais comme je le pus d'un revers de manche sale et te regardais des pieds à la tête. On s'habituait trop vite à ce qu'on puisse causer la même langue, mais les mêmes questions passaient par nos têtes. Comment ça se faisait ? Pourquoi ? Qui avait copié l'autre ou comment l'autre avait copié l'un ? Mais surtout... pourquoi j'étais loin d'chez moi, homme du ciel. Tsss. J'eus une sorte de sourire narquois, moqueur et étonnament énergique malgré la fatigue.

"Si chez moi, c'est le ciel, on en tombe facil'."

Après tout, ça paraissait évident. Plus que d'expliquer que ces jolies étoiles crashées sur Terre avaient tenté de me massacrer et que c'était bien eux, pour la plupart, qui étaient les responsables de mes blessures. Sauf la plus mortelle. Parce que même pour tuer, les Archéens étaient nuls à chier.

Mourir. C'était dit. C'était vrai. Et c'était assez brutal pour qu'on sache à des kilomètres à la ronde que tu étais sincère. Quand on mentait, on disait jamais du négatif. Elle le savait. Elle savait le faire sur tout le monde, même sur moi. Alors un peu de sincérité, même morbide, c'était pas désagréable. Mon dos se vautrait contre les buissons, manquant de passer à travers, le regard dans le vague. Une soigneuse, hein... ça sonnait vétérinaire, mais c'était mieux que rien. Encore fallait-il te faire confiance, et c'était impossible. Pourquoi je pourrais penser que quelqu'un avait encore des bonnes attentions, hein ? Elle. Le Commandant. Les Archéens. Les Griffin. Les terriens de la montagne enneigée. J'te voyais pas comme la seule exception, la seule Sainte. Je repris silencieusement mon arme, sans la pointer vers toi, pour la poser d'l'autre côté de mon flanc, plus loin de toi, à ton opposé. Encore quelques secondes de silence, le crâne dans les branches du buisson, avant que je souffle :

"D'accord... Tu m'donnes rien. Moi, je te rends ton service."

Est-ce que tu avais compris, ça ? Tu me soignais, je te payais avec quelque chose. Un service ouais, du matériel ou simplement avec une balle dans la tête de celui ou celle qui te faisait chier. Je le règlerai au plus vite, et nos chemins se perdront dans des souvenirs inutiles pendant ma longue, très longue vie, loin des autres "hommes du ciel".