Elle s’approchait enfin des portes de la cité de l'Arche. Josephine avait attendu cela depuis des mois et ce qu'elle avait prévu se déroulait devant ses yeux. Escortée par un petit groupe d'Archéen totalement crédule envers ses réelles intentions, la jeune femme se retenait d'esquisser un sourire. Comment en était-elle arrivée à créer cette situation ?

Pour comprendre cela il fallait revenir quelque peu en arrière. N'ayant plus de nouvelles d'Emerson depuis quelque temps, l'ancienne montagnarde avait continué de jouer le rôle de la gentille fille aidant sa communauté. Grace à cette image qui dissipait la plupart des méfiances qu'on pourrait avoir à son égard, Josephine entendit les rumeurs du passage au pouvoir d'un certain Charles Pike auprès des Archéens qui s'aventuraient près du camps. De ce qu'elle eut réussit à obtenir, elle comprit que ce nouveau Chancelier ne portait pas les natifs dans son cœur et la raréfaction progressive des groupes d'Archéen explorant les environs ne firent qu'aller dans le sens de ses théories. Un Chancelier qui refermait Arkadia sur elle même en raison d'une haine des natifs ? Cela s'avérait intéressant. Elle pouvait en faire quelque chose...

L'absence d'informations sur Emerson et le nombre d'Archéen s'aventurant autour du camp qui réduisait de jour en jour forcèrent Josephine a mettre en place son échiquier plus tôt que prévu. Elle quitta le camp un jour, accompagnée de deux jeunes ex-montagnards qui se satisfaisaient de leur vie actuelle, prétextant qu'ils allait chercher de l'eau pour tout le monde. Cela fut très certainement la réelle motivation des deux autres, mais ce n'était pas la sienne. La jeune femme avait repéré les traces d'une petite patrouille de d'Archéen, les traces de deux personnes, il devait s'agir d'éclaireurs. Quand elle estima qu'ils étaient assez proches de ces derniers et que ses deux accompagnateurs commençaient à douter du chemin emprunté, Josephine s'empara de deux couteau dissimulés dans sa veste et les poignarda à la gorge. S'il ne souhaitaient pas se battre pour leur conditions de vie alors leur mort servirait au moins à ce qu'elle atteigne celles qu'elle convoitait.

Josephine traqua ensuite les deux Archéen, sachant que si des éclaireurs à pieds se trouvaient ici, le reste de leur patrouille ne devait pas être loin. Profitant du fait qu'il se séparèrent un instant, elle les attaqua de dos l'un après l'autre, leur faisant  subir le même sort que ses deux anciens camarades. Elle enterra ensuite sa veste auprès d'un arbre pour ne pas qu'on retrouve ses lames lors d'une fouille et ramena enfin les corps au même endroit, mettant en scène son scénario pour l'arrivée du reste de la patrouille qui se mettrait à la recherche de leurs éclaireurs disparu. Cela ne manqua pas, quelques heures plus tard, la jeune femme, visiblement blessée et sous le choc fut retrouvée près des quatre corps, peuple de l'arche et montagnards réunis.

Le rôle de gentille fille qu'elle s'était donné depuis tout ce temps portait ses fruits, simplement avec quelque mots et au prix de quelques blessures qu'elle s'était elle même infligée, les Archéen, avaient cru son histoire. Ils étaient persuadés que des natifs avaient gratuitement attaqués leurs éclaireurs ainsi que ces trois ancien montagnards et avaient décidé de l'emmener à Arkadia pour qu'elle y soit mise en sécurité et puisse recevoir des soins. 'Ne t'inquiètes pas, notre nouveau chef t’accueilleras sans problèmes, les natifs sont allés trop loin. Ils vont finir par payer ces enfoirés.' Lui avait dit un Archéen.

La machine était en route.

La porte imposante de la cité d'Arkadia s'ouvrit devant elle et Josephine porta son regard sur l'homme qui en sortit pour venir les accueillir. Il était plus grand qu'elle, sa démarche était assuré ; il avait un regard ferme mais expressif. Il s'agissait probablement d'une personne d'ordre persuadée de faire ce qui était juste ou nécessaire. La jeune femme cherchait le moindre de ces petits détails dans ses observations et ses premières impressions des personnes qu'elle rencontrait puis elle les confrontait avec ce qu'elle apprenait réellement d'eux à leur contact, vérifiant ainsi ce qui était de solides appuis pour renforcer son emprise sur son environnement ou au contraire ce qui révélait plus des fausses pistes à démolir.

Bonjour, Monsieur le Chancelier. Merci... merci de m’accueillir. On étais en train de chercher des plantes quand on a rencontré vos éclaireurs. C'est... c'est là que des Natifs nous sont tombé dessus. Ils sont sortit de nul part et... j'ai eu de la chance, j'ai réussi à m'enfuir. J'ai couru jusqu'à une petite falaise et je m'y suis caché. Quand je suis revenu ils étaient tous morts...

Avait-elle expliqué avec une aisance qui aurait mit mal à l'aise n'importe qui connaissant la vérité. Josephine feignit un rictus de douleur en baissant le regard. La douleur des blessures qu'elle s'était infligée n'était pas si importante mais elle souhaitait écourter ses possibles questions et balayer ses doutes au plus vite.

Pouvons nous entrer, s'il vous plait ?

Son cœur battait légèrement plus vite avec le stress. Elle prenait beaucoup de risques et il était trop tard pour faire demi tour désormais. La jeune femme se trouvait dans la gueule du loup si les Archéens venaient à douter d'elle et elle savait que, privée pour le moment de ses armes, seuls les mots pourraient continuer à faire avancer son jeu.

Lorsqu'elle vit le Chancellier Pike acquiescer à son histoire, Josephine camoufla l'envie d'afficher un large sourire par une longue inspiration qui aurait put facilement être prit pour un sanglot après une expérience aussi traumatisante que celle qui avait été dépeinte à tout ces gens. Elle lui offrit un léger mouvement de tête de remerciement à son tour alors qu'il l'invita à avancer vers ce camps qui lui ouvrait les bras sans avoir aucune idée de qui ils étaient en train d’accueillir.

Oh... excusez moi monsieur. Je m'appelle Josephine, Josephine Morningstar.

La jeune femme n'avait pas oublié de se présenter, elle avait au contraire décidé de ne pas le faire pour jouer pleinement la carte de la rescapée perdue, tel un oisillon tombé du nid qui recherche encore ses repères. Elle s'était attendu à ce qu'il pointe cet oubli et cela n'avait pas manqué, comme elle l'avait pensé, cet homme s'avérait observateur mais aussi possiblement têtu, deux qualités ou défauts selon l'angle que l'on prenait il s'agira désormais pour Josephine de trouver comment les utiliser à son avantage dans les deux cas de figure.

Elle le remercia pour sa proposition de l'accompagner jusqu'à l'infirmerie. Les blessures qu'elles s'étaient en fait infligées elles même n'étaient pas minimes mais elles étaient loin d'être dangereuses si l'on prenait le temps de les traiter et la jeune femme avait connu bien pire lors de sa courte vie. Quand le sujet des natifs fut remis sur le tapis par le Chancelier, Josephine prit un air pensif avant de répondre.

Certains nous observaient au début. Pour nous surveiller je pense... Quelque uns sont venu nous donner des conseils quand on s'installait mais c'était très rare. Je... Je ne sais pas pourquoi ils ont décidés de nous attaquer... J'ai... j'ai peur pour les autres au camps...

Sa voix tremblota quelque peu vers la fin comme pris par de réelles inquiétudes et remords qui lui étaient pourtant étranger. Avec les années elle avait peaufiné son talent pour altérer sa propre image aux yeux des autres et alors que l'empathie lui était un concept complexe à appréhender, se donner l'air d'être touchée ou même déboussolée était devenu comme une seconde peau tout comme jouer toute autre fausse émotion.

Les mots de ce Chancelier dépassaient toutes les espérances que possédaient Josephine. Elle détourna le regard avant d'hocher faiblement la tête alors qu'il déroula sa pensée sur le fonctionnement des natifs et ajouta un commentaire sur l'ancien commandement du Mont Weather. Ce dernier n'avait pas eu l'air méprisant ou rancunier ce qui surprit quelque peu la montagnarde.

Elle n'avait jamais apprécié l'ancien Président, d'abord par la volonté de son père qui l'avait formé pour qu'elle se développe en opposition avec la famille Wallace puis par sa propre expérience avec la chute du bunker dont elle les en a toujours estimé être les responsables, mais si leur souvenir pouvait aider son chemin alors elle laisserait volontiers cet homme les honorer.

Vous avez surement raison. Nous ne pouvons pas vivre avec eux... Ils ont attaqué mes amis aujourd'hui, un jour ils nous déclarerons la guerre. Nous devons être prêt avant que ça n'arrive...

La jeune femme continua de l'écouter avec attention, cherchant à la fois les bon moments pour rebondir et pouvoir profiter de son rôle pour essayer de planter dans son esprit les graines de la guerre à venir. Alors qu'ils s'approchaient d'une porte, sa proposition attira l'attention de Josephine qui se tourna vers lui pour répondre avec l'entrain d'une revancharde et l'inquiétude d'une ami au sujet des siens, seule une partie était bien réelle.

Je... Je voudrais entendre votre idée monsieur Pike ! Enfin... quand vous pourrez me recevoir après que l'on m'ai soigné... Merci encore pour tout.

Le ton, l'énergie, le faux sentiment de gêne, elle mettait tout en œuvre dans son image afin qu'il ne se méfie en rien d'elle. Elle ferait tout pour qu'il voit en elle une allié de choix arrivée au hasard de la violence extérieure, mais pour elle ce Chancelier n'était qu'un outil temporaire. Elle le salua d'un geste de la tête avant d'entrer dans l'infirmerie.

Cela faisait trois jours qu'elle était sorti de l'infirmerie. Comme convenu ses blessures, bien que certaines eurent nécessités quelques points de sutures et laisseraient certainement des cicatrices, ont été simples à soigner, c'était elle même qui se les étaient infligées après tout. La montagnarde avait eu le temps de circuler un peu au sein d'Arkadia, certains ne savait pas trop quoi penser d'elle, quelques uns la regardaient d'un air méfiant mais sa "mésaventure" avec les natifs lui avait attiré l'inquiétude et presque la sympathie d'un nombre de personnes dont la jeune femme pensait que le changement récent à la chancellerie n'était pas étranger à ce virage dans les consciences de beaucoup et elle ne s'en plaignait pas du tout.

Josephine s'était assise au réfectoire et finissait de manger son repas. Elle ne put s'empêcher de ressentir une pointe d'anticipation en voyant le Chancelier Pike s'approcher d'elle. Elle avait attendu ce moment, se préparant mentalement à jouer le rôle qu'elle avait astucieusement élaboré. Ses yeux d'un bleu perçant étaient fixés sur le visage sérieux du Chancelier.

Je me remets petit à petit, merci de vous en préoccuper, Monsieur Pike.

Un sourire poli étira ses lèvres, évoquant une gratitude sincère. Elle comprenait l'importance qu'avait pour le moment la carte de la coopération. Lorsque Pike se pencha pour aborder le sujet délicat des choses à mettre en place, Josephine inclina légèrement la tête, montrant son attention tout en prenant un air de préoccupation feinte. Elle savait que sa réponse devrait refléter la détermination d'une alliée prête à affronter les épreuves pour le bien commun.

Je suis prête à entendre vos idées, Chancelier. Si elles peuvent aider à assurer la sécurité de nos peuples, je suis prête à prendre des risques.

Josephine observa le Chancelier Pike s'approcher pour prendre place en face d'elle. Le sourire poli qu'elle avait esquissé se mua rapidement en une expression préoccupée à mesure que Pike abordait la nature dangereuse de ses projets. Elle comprenait que l'heure n'était pas aux politesses, mais à la discussion franche sur l'avenir d'Arkadia. La jeune femme écouta attentivement son raisonnement, l'idée d'élargir le territoire d'Arkadia lui semblait intéressante bien que difficilement tenable sur le long terme.  Josephine cherchait également de quelle manière emmener cet homme vers un raisonnement qui ultimement l'arrangerait elle.

L'ancienne montagnarde acquiesça silencieusement toutefois. Puis ses yeux s'illuminèrent un instant quand elle comprit où il voulait en venir. La solution, selon Pike, résidait dans le bunker, une forteresse qui n'aurait jamais tombé sans l'aide des nouveaux venu de l'espace. Cette idée était à la fois ingénieuse et téméraire, car tout deux n'avaient en réalité aucune idée de l'état dans lequel ce bâtiment pouvait ce trouver désormais, mais cet objectif lui semblait déjà plus réaliste que de s'étendre sur une grande distance dans les forêts alentours bien connus des natifs.

Reprendre le bunker pourrait être une stratégie efficace, Chancelier Pike. Mais même si nous pouvons redémarrer ses sécurités, il ne doit plus avoir de réserves de nourriture. Nous devrons le ravitailler depuis Arkadia pour le rendre viable. Ce qui sera dangereux

Elle posa un regard déterminé sur Pike, s'assurant qu'il comprenait les implications logistiques de cette entreprise. Puis, elle sourit légèrement.

Cela dit, ça ne sera pas impossible. Je dirais que si le seul but était d'en faire une base secondaire, ça ne voudrait pas le coup. Cependant, je penses qu'on pourrait en faire de grandes choses ensemble. Si l'on mettait la main sur son armement nous pourrions non seulement repousser les natifs mais peut-être même envisager d'avancer vers Polis. Je penses qu'il ne faudra pas se reposer sur le bunker mais profiter de l'effet de surprise dont ils souffriront dès qu'on l'aura repris.

Elle n'alla pas plus loin dans son raisonnement, souhaitant voir tout d'abord comment le Chancelier allait réagir à son avis. Josephine le testait en quelque sorte, désireuse de découvrir jusqu'où irait sa ferveur et ce qu'elle pouvait en tirer.

Le rythme cardiaque de Josephine s'accéléra quelque peu quand elle vit cet homme se décrisper, visiblement soulagé, après qu'elle lui ait partagé son avis. Il ne semblait pas être aussi belliciste qu'elle mais elle pouvait voir dans son regard et dans ses réaction la graine qu'il lui fallait cultiver pour pousser ses décisions dans un sens qui lui conviendrait.

Pike parlait comme un juste, motivé par le désir de protection de ses semblables. Elle savait ces personnes facilement manipulable si l'on pouvait leur faire penser qu'une direction était la bonne pour défendre leurs idéaux. Il lui fallait désormais jouer son coup. La jeune montagnarde hocha la tête d'un air empathique avant de répondre.

Bien sûr, sécuriser le Mont Weather sera un grand événement. Mais si l'on s'arrête là ou même que l'on tarde à continuer une offensive, les natifs pourront l'isoler ainsi qu'Arkadia. Il nous faudra d'abord gagner le contrôle sur les terres autours et même une voie sécurisée entre nos deux villes.

Pour ce qui est de Polis... Je ne sais pas grand chose de la manière dont elle est construite mais certains natifs sont plus bavards que d'autre. Je sais que le bâtiment le plus important est une grande tour qui domine toute la ville. Je pense que c'est là que doit habiter leur commandante. C'est aussi une grande ville et non un camp militaire. Donc s'ils pensent que l'on représente une menace ils préfèreront déplacer leur armée pour le vérifier et Polis sera surement sous protégée. Y marcher et capturer la tour ou même leur commandante leur enverra un signal fort. Qu'ils sont plus faibles qu'il ne le pense et que l'on peut les faire plier. Si l'on se débrouille pour en prendre le contrôle sans s'en prendre aux civils qui ne s'en prendraient pas à nous, alors il est possible que ce message ait un autre sens pour les natifs qui ne reconnaissent pas entièrement l'autorité de leur commandante. Ainsi on pourra sécuriser notre territoire, affaiblir leur pouvoir et peut être même gagner le respect de tribus natives dissidentes.

Josephine se fichait en réalité bien du sort des civils de Polis si une telle opération se voyait être lancée, mais même dans sa hargne colère à leur encontre, elle savait qu'aucune communauté ne pourrait persister dans le temps si la totalité de leurs voisins souhaitaient leur disparition, ils leur fallait bien jouer avec ces règles pour le moment..