Il lui fallait quitter Polis et rentrer à Azgeda. Écho avait beau le savoir, elle se trouvait toujours dans cette cité qui fourmillait de monde de diverses origines. Un phénomène plaisant en soit, alors que l'espionne savait qu’il y avait toujours quelque chose à apprendre parmi les tant de peuple différant se côtoyant. Elle devait avouer que tel était l'un des avantages du Kongeda. Là où, auparavant, il lui fallait mener des infiltrations plus complexes les unes que les autres, il devenait désormais facile d'apprendre ce qu’il se passait chez son voisin, en ayant même la possibilité de traverser des frontières sans que cela n’interroge. Pourtant, la jeune femme ne se trouvait pas au sein de cette capitale pour un quelconque recueil d’information ni pour la moindre mission officielle. Bien entendu, si elle entendait quoi que ce soit d’intéressant, elle ne se gênerait pas pour pousser quelques recherches, mais pour l’heure, Écho profitait d’une solitude qu’elle appréciait bien plus que d’ordinaire.  

Évitant les siens, elle avait trouvé une once de calme dans l’écurie jouxtant une taverne. Elle y avait laissé son cheval, quelques jours plus tôt, quand elle avait rejoint la cité pour retrouver Roan et, sans que le cœur n’y soit, lui apprendre la perte de leur fille. Par la suite, elle n’avait pas cherché à se faire remarquer, repoussant son départ le temps d’apaiser ses tourments. Et c’est pour cela que l’espionne ne cherchait pas la compagnie des guerriers de sa nation, ni même à rester entre les murs de leur ambassade. Elle préférait se fondre parmi les inconnus, oubliant le temps d’un moment celle qu’elle se devait de servir. Or, les stables étaient un endroit qui semblait parfait, car, même si elles étaient synonymes d’un va-et-vient de voyageur, il n’y avait pour l’heure peu de monde et elle avait même cette impression d’être seule, malgré les quelques bruits qui pouvaient se faire entendre.

— Il va falloir cesser de fuir l’avenir, n’est-ce pas ?

Echo ne s’adressait pas vraiment à sa monture, mais plutôt à elle-même. Elle qui était si déterminée habituellement, sans jamais douter un instant de ce que l’on attendait d’elle et de ce qu’elle devait faire pour honorer sa place. Pourtant, depuis quelque temps, elle avait l’impression d’avoir perdu de cette prestance alors qu’elle n’était devenue qu’une marionnette entre les mains de l’Azplana. Une marionnette qui s’était bien trop laissé faire, alors qu’elle n’avait pu que plier face au moyen de pression utilisé et elle se maudissait intérieurement de s’être ainsi laissé faire. La leçon faisait mal, mais l’espionne la comprenait et commençait peu à peu à reprendre de son assurance. Elle savait qu’elle ne pourrait pas étendre éperdument son absence d’Azgeda et qu’il lui faudrait prendre de nouvelles missions auprès de la reine. Une finalité qu’elle avait tenté de repousser en prenant son temps, mais qui, finalement, continuerait de l’attendre. Encore une erreur de sa part, alors qu’elle comprenait qu’en fin de compte, il lui fallait surtout l’affronter.

Sa réflexion fut cependant stoppée en entendant une personne lever la voix en exprimant une pensée. Sur l’instant, la jeune femme ne savait pas si on s’adressait à elle ou non, mais l’idée transposée lui tira tout de même une légère réaction.

— Leur parler est inutile, ils n’ont pas la capacité des nous répondre. Ni même de nous comprendre.

Et c’était même une perte de temps à ses yeux. Elle respectait ces équidés qui se laissaient dompter et qui devenaient de fidèles montures, prête à les accompagner partout, mais elle ne les vénérait pas autant que d’autres pourraient le faire. Même si l’animal l’accompagnait bien souvent dans ses voyages, Echo ne le voyait pas comme pouvant recevoir la moindre de ses pensées secrètes. Certes, un cheval – ou tout autre animal – n’irait en aucun cas le répéter à la mauvaise personne, mais ce n’était pas pour autant une habitude qu’elle avait.

L’Azgeda avait levé les yeux pour tenter d’identifier celle qui avait fait cette remarque. Presque à quelques stables d’elle, l’espionne ne put en tirer que son appartenance au genre féminin, ce qu’elle avait déjà déduit au timbre de sa voix. Seulement, si elle voulait en savoir plus, il lui fallait se rapprocher pour espérer obtenir le moindre détail qui pourrait donner une appartenance à cette inconnue. Mais pour l’heure, elle était plutôt à jauger l’importance de cette remarque et notamment la façon dont elle en était concernée. L’avait-elle entendu marmonner ? Echo espérait que non, ou du moins que cela avait été peu compréhensible, ne voulant pas que ses doutes puissent arriver à de mauvaises oreilles.

— Ils restent cependant de très bons compagnons de route.

Restant sur le sujet évoqué, la jeune femme restait attentive envers celle qui avait lancé la parole. Echo savait être loquace, mais elle le faisait rarement pour des discussions banales, préférant aller droit au but. Seulement, elle savait que, parfois, certaines futilités avaient le don de mener à une discussion plus intéressante. Alors cela restait un exercice à pratiquer, d’autant plus que l’espionne n’avait rien pour la presser de quitter les lieux et que, parfois, Polis abritait des personnes intéressantes à découvrir.

Si Echo n’avait guère anticiper la possibilité de converser avec une étrangère parmi les stabulations de l’auberge, elle devait avouer que cet échange, aussi bref qu’il semblait l’être au début, lui avait permis de tirer son esprit de ses sombres pensées. Elle ne devait pas se permettre de douter ni même le laisser s’immiscer sournoisement dans sa tête. Elle devait rester aussi fidèle qu’à elle-même et les paroles de l’inconnue lui avaient alors permis de faire bloc à ce nuage qui aurait su se faire une place chez elle. Pourtant, l’espionne n’avait pas vraiment fait preuve de courtoisie ni cherché à être avenante en présentant son avis contraire. Elle n’avait pas non plus cherché à couper tout contact, exposant simplement son avis sur la question. Un avis peu poussé pour l’espionne qui se devait de rester terre à terre. Elle ne pouvait se laisser aller à ces pensées frivoles, alors que d’autres sujets bien plus sérieux l’attendaient.

Cependant, elle n’avait pas non plus coupé court à cet échange. La curiosité de savoir qui pouvait bien être cette personne avait poussé l’espionne à se laisser ouverte pour une réponse. Un vice lié à son statut d’espionne, que de vouloir maîtriser un maximum d’informations et notamment de savoir qui pouvait l’entendre lorsqu’elle se laissait aller à quelques pensées qui ne devaient avoir lieu d’être. Et si l’idée de sortir de la stabulation pour mieux découvrir la personne présente avait fait son cheminement, le bruit de porte et de pas lui indiquait qu’elle n’avait pas à faire ce premier pas.

— Nous serions stupides de nous en passer.

Sans vouer un culte au cheval comme d’autres le faisaient, Echo avait cette reconnaissance envers eux. L’inconnue avait montré qu’elles avaient au moins un avis qui convergeait, et l’Azgeda ne pouvait que lui donner raison.

Les pas s’étaient rapprochés, et lorsque l’espionne les jugea assez proches, elle s’était retournée pour faire face à la brune qui profitait d’une portion de mur pour nettoyer sa brosse. Elle pouvait désormais jauger la jeune femme dont le simple visage pouvait donner quelques informations à Echo. Même si elle ne pouvait être sûre de rien – elle-même sachant tromper les analyses par le manque de stigmates si caractéristiques à Azgeda – elle appréciait d’enfin mettre un visage sur la voix. Pas de nom cependant, alors qu’elle avait désormais la certitude de savoir qu’elle ne connaissait pas la cavalière à la question pertinente. Voyager, c’était bien ce qu’elle faisait, mais il y avait tant de buts que l’on pouvait mettre dans un voyage.

— En effet, comme une majorité ici, je ne suis que de passage.

Echo ne comptait pas trop en dire tant qu’elle ne pouvait en découvrir plus sur son interlocutrice. Pour être tombée en disgrâce auprès de Nia et de ne pas avoir su répondre à ses missions, elle savait que toute personne pouvait s’avérer un ennemi désormais, que ce soit pour tenter d’impressionner l’Azplana ou simplement pour naturellement haïr Azgeda.

— Polis n’est qu’une simple formalité, ce n’est pas ma destination finale. Mais il reste toujours intéressant d’y passer, c’est souvent ici que les rumeurs convergent et que l’on peut chercher à démêler le vrai du faux.

Ce n’était pourtant pas des rumeurs qui avaient mené la jeune femme jusque dans les rues de la capitale, mais bel et bien son intuition. Pourtant, ce seront les rumeurs et les questionnements qui referont prendre la route par la suite à l’espionne. Pour l’heure, sa décision n’avait pas été prise, mais le destin en serait ainsi, alors qu’elle ne rentrait pas de sitôt sur les terres enneigées de son clan.

— Je suppose que toi aussi tu n’es que de passage ?

Une question dont la réponse semblait évidente. L’écurie appartenait à une auberge et non à la délégation de l’un des clans de la Coalition. C’était bien souvent ceux qui préféraient rester dans l’ombre qui se retrouvaient en ces lieux alors que d’autres préféraient rester avec les leurs. Ainsi, cette femme soulevait quelques mystères que l’espionne voyait alors comme des défis pour en découvrir plus à son intention et notamment sur la raison de leur rencontre hasardeuse.

— Mais il est vrai que les chemins semblent être plus nombreux pour rejoindre la capitale lorsque l’on voit le nombre d’étrangers croître.

Après tout, de nouveaux « peuples » émergeait par la présence des Skaikru et des Kripakru. Deux peuples que Echo n’arrivait à réellement voir comme il devait l’être par leur manque de légitimité. Certes, Skaikru avait été d’une aide remarquable lorsque cela avait été nécessaire, mais ils ne faisaient qu’empiéter sur un territoire qui n’était pas le leur et quant à Kripakru, l’espionne ne pouvait accepter ce qu’elle avait subi entre leurs mains. Elle avait eu de la chance comparée à d’autres, mais ils restaient tous coupables à ses yeux.  

Être Azgeda était loin d’être une honte pour Echo, mais elle savait qu’il était parfois important de dissimuler ses origines. Un guerrier pouvait fièrement porter les attributs de son clan, mais pas les espions et cela avait permis de nombreuses fois à la jeune femme de se fondre parmi des inconnus. Cela faisait d’ailleurs ses preuves encore une fois, alors que rien ne laissait paraître de son appartenance au peuple de la Nation des Glaces, un bon point pour rester discrète. Et bien heureusement, la conversation ne s’était pas orientée dans cette direction, Echo ayant su justifier sa présence tout en restant dans le flou de la réalité.

— Pas réellement pour les derniers potins de la ville, mais plutôt pour rester à l’affût de ce qu’il peut se tramer dans la Coalition et mieux se préparer à un quelconque mouvement.

Après tout, Echo avait dû s’avouer surprise de voir tout ce qui avait bien pu se passer depuis plusieurs mois. Entre la chute des Maunons, l’alliance avec les Skaikru et la réhabilitation des Kripakru, cela était plutôt surprenant et intéressant. Certes, cela avait permis d’enfin réduire la menace d’un ennemi de longue date, mais l’espionne y voyait aussi des failles, petites, mais présentes, qui n’attendaient qu’une chose : que l’on s’engouffre dedans pour mieux les exploiter. Seulement ce n’était pas son travail de semer la pagaille et la jeune femme se contentait d’observer, de retenir et de trier les informations pour savoir ce qui était importun de rapporter à la reine. Alors plutôt que des petits potins sans importance, l’Azgeda préférait se focaliser sur les données plus importantes, ce qu’elle expliquait sans pour autant en donner la réelle raison. Même si, refusant de l’avouer, elle n’était pas uniquement là pour servir son clan.

Et pour éviter d’avoir à trop se dévoiler, Echo avait détourné la conversation pour tenter d’en apprendre plus sur l’inconnue qui s’était adressée à elle. Ce n’était peut-être rien ce qu’elle disait, mais chaque mot pouvait avoir son importance pour ceux qui savaient en tirer parti. Pourtant, l’espionne n’était pas toujours dans la recherche du détail, laissant son esprit agir bien plus par habitude que par application consciencieuse de ce qu’elle avait appris. Et voyant qu’elle ne semblait guère risquer grand-chose de son interlocutrice, l’Azgeda ne se montrait pas aussi froide et distance qu’elle pouvait parfois le faire.

— C’est comme ça que peut se permettre de prospérer la Coalition. En alliant les clans, Polis s’offre un marché plus stratégique qu’ailleurs.

Et tous les honneurs revenaient alors à Trikru pour ça, ce qui énervait bien trop souvent l’espionne. Car avec cette alliance, il devenait de plus en plus difficile pour Azgeda d’affirmer sa puissance, du moins, sans risquer de fâcheuses conséquences. Un détail qu’elle se retenait bien de dévoiler, préférant laisser croire que cette Coalition était plutôt une bénédiction pour tous. Cela lui évitait certaines tensions et notamment de se faire remarquer.

Lorsqu’elle avait évoqué les étrangers, Echo n’avait pas vraiment pensé à l’intégration, mais plus à leur façon de se fondre dans la masse.

— Je n’aurais pas dit qu’il est facile de s’intégrer, mais passer inaperçu. Même si on peut facilement s’identifier à des clans, il reste toujours une poignée difficile à reconnaître. Comme nous.

Echo ne cherchait pas à sous-entendre qu’elle était une étrangère ici, mais elle ne le démentait pas non plus. Elle n’était pas originaire de Trikru, ce qui la rendait étrangère ici. Mais elle appartenait à la Coalition de par la place qu’occupait Azgeda, ce qui nuançait le propos. Cependant, son interlocutrice avait raison, elle évoquait surtout d’autres étrangers, ceux tombés du ciel ou les survivants de la montagne.

— À vrai dire, je n’ai pas cru entendre dire qu’ils se trouvaient dans la cité, mais ce n’est pas non plus une vérité absolue. Ils peuvent très bien essayer de se fondre parmi nous, même si je doute que cela soit réellement possible.

Echo n’arrivait d’ailleurs pas à imaginer que cela puisse être possible. Elle ne connaissait pas encore chaque peuple pour voir comment ils arrivaient à se faire leur place, et même sans les connaître, elle se permettait de les juger à ce sujet. Après tout, il fallait bien des années d’entraînement pour savoir se faire passer pour la personne que l’on n’est pas.

— Tu en as déjà rencontré ? De ceux qui sont étrangers à notre peuple ?

Qui sait, l’inconnue avait peut-être une opinion radicalement différente de la sienne et même si la jeune femme n’était pas prête à changer sur ce point, elle restait constamment curieuse de savoir ce que les autres en pensaient.

Bien qu’Echo reste sur ses gardes dans ce qu’elle disait, refusant de trop en dévoiler sur elle, elle avait cette sensation qu’elle ne risquait rien de son interlocutrice. La jeune femme n’allait pas jusqu’à la sous-estimer, ne pouvant jamais prévoir ce qui se dissimulait derrière une personne, mais cette intuition était là, de celle qui ne vous glace pas le sang, ni vous force à craindre la suite. Une intuition qui lui permettait de continuer l’échange, agissant plus avec naturel qu’avec ses talents d’espionne. Oh, l’Azgeda ne perdait pas de vue que toute information était bonne à prendre, mais elle n’orientait pas non plus ses interrogations comme elle pouvait parfois le faire. Un échange bien différent duquel elle avait l’habitude de mener, et qui n’était pas non plus ennuyant.

— Ça peut parfois être aussi distrayant que certains potins.

Echo n’avait pas pu s’empêcher de sourire en disant cela. Les potins ne l’intéressaient pas, sauf quand ils apportaient une information croustillante ou importante. Le reste du temps, elle trouvait que c’était de l’énergie dépensée inutilement, mais elle pouvait comprendre que d’autres les appréciaient. Peut-être que si ses missions ne lui semblaient pas si importantes, elle prendrait le temps d’écouter ces fameux potins. Seulement avec sa volonté de redorer son image et de retrouver sa place, Echo ne pouvait pas se le permettre. Mais il n’y avait pas que la récolte d’information qu’elle appréciait à Polis et elle n’avait pas hésité à dévier sur ce sujet, profitant de l’explication fournie. La brune disait vrai, à Polis, il suffisait de demander pour presque tout trouver, qu’importe l’origine géographique de la recherche. Sur ce point, l’espionne n’avait pas à se plaindre, car la ville lui offrait aussi un point d’entrée facile pour ses missions. Ce n’était d’ailleurs pas pour rien qu’elle s’y trouvait actuellement, alors que la diversité de la cité lui avait permis de retrouver Roan.

— Les alliances ont toujours eu du bon dans le commerce et l’entraide. Et cela n’ira qu’en grandissant si la paix prospère avec l’arrivée de ces étrangers.

Une croissance qui, Echo l’espérait, permettrait à Azgeda de mieux croître aussi. Encore une fois, l’espionne ne pouvait se détacher des ambitions du peuple auquel elle appartenait, bien qu’elle gardait ceux-ci sous silence. Les ébruiter n’était pas dans sa volonté, refusant de se laisser associer alors qu’elle restait une inconnue dans cette écurie, et devant s’avouer que, même si elle ne pouvait vouer sa loyauté qu’à son clan, elle ne pouvait accepter les dernières actions de sa reine. Et ça, il était primordial pour sa survie que personne ne puisse le savoir. Cette pensée restait enfouie au fin fond d’elle-même, là où d’autres secrets ne devaient être déterrés.

Chassant cette pensée par une autre, la jeune femme préférait se concentrer sur sa discussion avec l’autre voyageuse. Une voyageuse dont elle ne pouvait prétendre connaître l’identité, mais avec qui elle ne forçait pas les présentations. Toutes deux semblaient se complaire à rester l’inconnue de l’écurie, une image dont l’Azgeda ne comptait pas se défaire pour l’heure et encore moins alors que la discussion dérivait sur un sujet plus qu’intéressant à ses yeux : les Skaikru et les Kripaku.

— Leur monde n’est pas le nôtre. Ils auront bon à prétendre s’intégrer, il restera toujours un gouffre qu’ils ne pourront traverser.

Son idée était peut-être radicale concernant « l’intégration » de ces deux peuples aux leurs, mais c’était comme ça qu’elle le voyait. Ils ne pourront jamais prétendre devenir égaux à ceux ayant toujours vécu sur terre. Que ce soit par la langue, la culture ou même leur éducation, jamais ils ne pourront égaler le moindre natif d’un quelconque clan. Le fossé était bien trop grand, et les mœurs bien trop différentes. Du moins, de ce qu’avait cru entendre l’espionne, qui ne pouvait se vanter de les avoir réellement rencontrés. Elle en avait bien croisé à de rares moments, mais sans chercher à s’en faire un avis positif. Quant aux Kirpakru, jamais elle ne changerait à leur sujet. Pas après les tortures qu’elle avait vécues chez eux.

Echo allait tout de même être curieuse de l’avis de la voyageuse sur les Skairku. Elle disait en avoir rencontré, peut-être, son point de vue était-il intéressant à entendre. Après tout, ils se montraient de plus en plus présents depuis leur arrivés et cela pouvait finit par poser problème. Pourtant, l’Azgeda les voyait comme une simple fourmilière qu’il serait facile de détruire le jour où la décision serait prise de le faire. C’était plus fort qu’elle, la jeune femme ne pouvait indéniablement pas se montrer tolérante envers eux et encore moins les considérer comme les autres peuples. Quant à ce qu’elle pensait d’avoir fait la paix avec les Kripas, il lui était impossible de nuancer sa pensée sur ce point.

— C’est leur donner trop de privilèges après ce qu’ils nous ont fait. C’était une faiblesse de la part de Heda de les laisser vivre et de leur donner une terre. Ils mériteraient de vivre ce qu’ils nous ont fait subir.

Laisser Skaikru vivre, tant pis, c’était Trikru qui se coupait de leur terre. Une décision qui importait peu Echo tant celle-ci n’impactait pas Azgeda. D’ailleurs, ce privilège n’avait pas été accordé à ceux s’étant retrouvés dans les montagnes enneigées. Mais concernant les survivants de la Montagne, même si ceux-ci étaient soi-disant innocents, ils étaient tous coupables aux yeux de l’espionne. Et les laisser vivre ne pouvait que leur donner du pouvoir qu’ils ne devaient en aucun cas avoir. Alors même s’il pouvait être mal vu de juger la Commandante pour ce choix, Echo assumait sa prise de position. Elle n’accordait aucune confiance à Skaikru, alors elle ne pourrait jamais le faire avec ce peuple de démons venus s’installer à Trikru.

— Il ne faudra pas s’étonner le jour où ils se retourneront contre nous. Ils voudront forcément retrouver leur position de force, l’humain est fait ainsi.

Echo n’avait pas pour habitude de faire dans la philosophie, mais c’était une règle qu’elle avait appris à connaître depuis son plus jeune âge : à l’instar du loup, l’être humain était un terrible prédateur et restait le pire ennemi pour lui-même.

Il était rare qu’Echo puisse échanger des points de vue si diversifiés, tant elle avait l’habitude d’avoir cette étroitesse d’esprit qu’elle pouvait avoir sur certains sujets. En général, elle allait au plus simple, d’autant qu’avec son rôle d’espionne, elle avait appris à moduler son avis en fonction de son interlocuteur. Bien souvent, elle le faisait pour gagner la confiance de sa cible, mais là, il n’y avait aucun jeu dans cette position qu’elle avait concernant les Skaikru et les Kripakru. Aucune mission ne motivait cet échange et elle ne répondait à aucune obligation dans ses propos. Une façon d’être elle-même en quelque sorte, sans pour autant trop en dévoiler à son sujet. En fait, aucune des deux femmes n’en dévoilait trop, semblant ne donner que le strict minimum d’information, sans que la moindre suspicion ne pointe dans leur voix. Du moins, était-ce ce qu’entendait l’Azgeda qui, elle devait l’avouer, n’était pas des plus déplaisant. Un échange des plus normal, ce qu’elle avait de moins en moins l’habitude d’avoir, côtoyant le jugement constant auquel sa Nation l’avait exposé jusqu’alors.

Echo eut un léger hochement de la tête face à la réponse de la brune. Elle n’était qu’en partie d’accord avec, mais reconnaissait la pertinence de ce qu’elle disait.

— J’ai du mal à croire que nous arriverons à conserver cette paix. Un jour ou l’autre, des tensions éclateront. Tout le monde n’a pas accepté leur présence au sein de nos terres.

Il fallait d’ailleurs être utopique de croire que ce changement serait accepté de tous. Il y avait déjà des tensions – endormis – au sein de la Coalition, et Echo était bien placée pour le savoir. L’Azplana était le meilleur des exemples et, depuis quelque temps, la jeune femme avait l’impression d’entendre bien plus de murmures qu’auparavant.

Un léger sourire naquit chez l’espionne quand la voyageuse lui confirma que les Kripa ne méritaient pas ces terres. Elle aimait entendre des avis similaires aux siens, bien que celui de la brune fût plus nuancé que le sien. Elle mettait en avant les enfants et, dans un sens, elle devait avoir raison. Les enfants ne pouvaient pas être tenus pour responsable de ce qui avait été fait. L’Azgeda sentit son cœur se pincer sous cette nuance alors que la raison de sa venue à Polis lui revenait de plein fouet. En effet, les enfants étaient bien souvent innocents et pourtant, le sien avait payé l’erreur de ses parents… Echo serait-elle alors capable de blâmer les enfants des Kripakru ? La voyageuse avait visé juste dans ses propos et pourtant, l’espionne se devait de rester fermée à l’empathie que cette idée pouvait créer. La faiblesse n’avait pas sa place chez les Azgeda et bien qu’elle sût que son cœur souffrait encore, elle se devait de le faire taire.

— Ne pas comprendre ne les rend pas innocents pour autant. Sacrifier des enfants ne nous a jamais semblé dérangeant après tout, n’est-ce pas ce que nous faisons avec le Conclave ?

Se cacher derrière la logique et la pensée collective, cela avait été la parade le la jeune femme. Ne pas se plonger dans l’empathie et évoquer le destin des enfants Natblida que chaque clan envoyait à la mort dans l’espoir que l’un d’eux deviendrait Heda. Alors quelle différence cela pouvait-il créer avec les enfants des Kripakru ? Echo s’obligeait à les voir telles de la vermine qui finirait par suivre les traces de leurs parents. Un enfant, ça s’éduquait et très certainement que ceux des démons avaient eu leur esprit formaté pour répondre à leur mode de vie si barbare. En fait, ils devenaient même des petits soldats en dormance, profitant que personne ne veut leur faire du mal pour se faire leur place et ainsi, le jour où l’un d’eux décidera de redonner de la puissance aux démons, personne ne soupçonnera quoi que ce soit.

Echo devait tout de même s’avouer surprise de voir la gentillesse et la diplomatie dont faisait preuve la voyageuse. C’était bien la première fois que quelqu’un se souciait qu’elle ne prenne pas mal un avis ou un propos, alors que la jeune femme avait l’habitude d’encaisser, parfois en silence, et d’autre fois avec du répondant. C’était le choix de la brune de vouloir que l’Azgeda se trompe et elle pouvait tout de même le comprendre, n’allant pas la blâmer pour ça.

— La paix n’est qu’une douce illusion dans laquelle nous aimons nous complaire, même au sein de la Coalition. Heda a allié des clans avec de nombreuses différences sans pour autant que cela ne fasse disparaître les tensions et les mœurs de chacun.

L’espionne n’était pas dupe. Même si elle avait ce souhait de voir Azgeda assis sur le trône de Polis et ainsi diriger ce monde qui était le leur, cette alliance n’était pas des plus seine, d’autant l’immensité du territoire se trouvant sous ce nom de Coalition. Il ne suffisait que d’une étincelle pour que tout s’embrase alors qu’il n’y avait qu’une façon de s’assurer d’une paix pérenne. C’était bien celle d’asservir ceux sous un pouvoir.

— Oui, en quelque sort, nous pouvons choisir les combats qui seront les nôtres. Mais n’idéalise pas cette image. Certains combats finiront par nous rattraper que nous le voulions ou non.

La brune avait mis le point sur ce qui les différenciait en fin de compte. Là où la voyageuse était une idéaliste, Echo était bien trop pessimiste et terre à terre. Peut-être cela découlait-il de son rôle d’espionne, voyant les coulisses de certains règnes ou voyant à quel point il pouvait être facile de manipuler les autres. La preuve en était, son interlocutrice savait-elle réellement qu’elle parlait à une espionne sous le joug de Nia ? Certainement pas.

Echo avait toujours été assez terre à terre dans sa réflexion. Peut-être que dans son enfance elle l’avait été moins, mais avec sa prise en main par la Nation des Glaces et l’éducation donnée par Nia, elle n’avait pas eu cette occasion d’être assez rêveuse. Et malheureusement, l’évolution qu’elle avait pu observer du monde et les derniers évènements qu’elle avait vécus ne faisaient que confirmer ce fait. Il n’y avait pas de place pour la rêverie.

Alors elle se montrait lucide dans ses propos, notamment sur le cas des Skaikru et des Kripakru. Elle était peut-être dure dans sa façon de penser, mais si encore elle pouvait entendre parler de l’innocence des Skaikru, jamais elle ne changerait son avis sur les démons de la Montagne. Et dans ce cas, l’espionne préférait se protéger de son armure de glace, ne laissant pas entendre que cela puisse l’atteindre de laisser les enfants mourir. En vérité, elle n’était pas aussi tranchée dans son avis quant à ces derniers, surtout après avoir perdu sa fille. Mais elle ne se leurrait pas non plus à ce sujet. Sur leur terre, la survie primait et il fallait être fort, même dès le plus jeune âge. Elle l’avait appris à ses dépens lorsqu’elle avait été recueillie par la Nation des Glaces. Alors quand la voyageuse rebondit sur son évocation des sacrifices des enfants, notamment pour le Conclave, la jeune femme ne put que garder cette façade qu’elle s’obligeait à avoir. Elle ne pouvait pas se montrer faible, même si le sujet lui pesait.

— Ces sacrifices ne sont pas inutiles. Ils permettent aux forts de survivre.

Encore une fois, elle préférait détacher sa pensée, en se raccrochant à un état d’esprit qu’elle aurait quelque temps auparavant. Echo ne pouvait nier qu’aujourd’hui, elle pouvait se montrer plus regardante, notamment concernant les enfants. Mais à quoi bon ? Oui, elle avait eu une fille à protéger, faisant tout pour lui assurer de survivre à Nia, en vain. Il était plus facile pour elle de se raccrocher à du passé pour ne pas laisser cette plaie toujours présente dans son cœur lui faire dire des choses qu’on pourrait lui reprocher plus tard. Après tout, elle ne savait pas concrètement à qui elle avait affaire et donc rien ne lui garantissait que cet échange ne remonte pas aux oreilles de sa reine. D’autant que l’étrangère, sans forcément le savoir, touchait le mille dans ses propos. Bien sûr que ça l’aurait dérangé de savoir Galdrielle envoyé au conclave, mais en même temps, l’espionne savait que cela aurait été une réelle fierté. Fierté qui restait entachée par cette ombre qui planait sur les enfants Natblida : leur survie était conditionnée à leur force, devant vaincre tous les autres pour rester en vie. Alors que pouvait-elle répondre à ça ?

— Il n’aura pas le choix, alors pourquoi chercher à lutter ? Au contraire, nous devrions faire de notre possible pour qu’il soit le plus fort et s’en sorte, plutôt que de se dire qu’il serait perdant.

L’espionne cherchait à faire appel à une logique immuable. Bien sûr, elle aurait trouvé ça dérangeant s’il lui avait fallu envoyer sa propre fille au Conclave et qui sait, peut-être aurait-elle eu envie d’enfreindre les règles. Mais de toute façon, la question ne se posait pas. Non seulement Galdrielle n’avait pas été une Natblida, mais même si cela avait été le cas, Nia aurait été seule décisionnaire.

Sentant son cœur se serrer en y pensant, Echo tenta de prendre de la distance en essayant de ne plus y penser, bien que cela soit compliqué. Il fallait qu’elle aille de l’avant et pas qu’elle se penche sur ce qui aurait pu être. Elle devait réussir à le faire, tout comme elle avait réussi à devenir Echo... Et pour cela, elle se devait d’être rationnelle.

— La guerre a toujours été dans notre nature. Il n’y a qu’à regarder nos coutumes pour le voir. Jus drein jus daun, yu gonplei ste audun, tout se rapporte au sang et au combat. On ne fait que croire à un avenir meilleur, jusqu’à ce que la finalité nous tombe dessus pour nous rappeler à notre véritable nature. Essayer de changer n’y fera rien.

Quant à souhaiter combattre dans le bon camp... Encore fallait-il savoir lequel serait le bon. Et là aussi, Echo se trouvait en plein doute de conscience. Elle qui a toujours tout fait pour Azgeda, se vendant corps et âme pour la nation, elle doutait désormais de sa reine. Un doute qui lui pesait, car elle avait cru sa loyauté sans faille et c’était un doute dont elle ne pouvait parler, encore une fois.

— Le bon camp, ça, il n’y aura que le vainqueur pour décider de ça. C’est une notion qui restera toujours subjective pour ceux en force.

Telle était la règle de tout conflit. Chacun se croyant dans le bon camp pour ses idéaux, et certains seront désigné comme les méchants dans une histoire pour avoir perdue. La preuve en était le dernier conflit contre les démons de la Montagne. La Coalition était le bon camp, et ça, Echo l’approuvait. Mais les survivants avaient-ils été interrogés ? Après tout, qui sait, peut-être que les troupes de Lexa avaient été le mauvais camp pour eux, même si l’espionne refusait de le penser. Seulement c’est ce qui ressortait toujours d’un conflit, et Echo n’était pas naïve, elle se doutait bien qu’un nouveau finirait par arriver le jour où la Nation des Glaces voudra assoir sa domination.